Par Clara Schmelck, journaliste médias à Intégrales Mag, billet invité
Arte Future diffuse en ce moment Polar Sea 360°, un documentaire immersif, à travers lequel l’internaute plonge en eaux profondes dans les mers du grand nord. Un nouvel usage de l’info qui bouleverse le paradigme sujet/objet.
Polar Sea 360°, diffusé du 1er au 12 décembre sur Arte, inaugure un nouveau genre cross media pour sensibiliser le public au réchauffement climatique que subissent les paysages de l’Arctique : l’application offre la possibilité au spectateur de se mouvoir dans un espace de glace où il détermine lui-même l’orientation. L’expérience immersive sera complétée l'année prochaine par l'arrivée des premiers casques visuels d'Oculus Rift.
Avec Polar Sea, explique dans Stratégies, le réalisateur Kevin Mc Mahon, on vit l’ «l'invention d'une autre relation à l’image». Chacun d'entre nous est invité à vivre sa propre aventure audiovisuelle. Il est possible de zoomer sur un visage, ou de se concentrer sur les lignes blanches qui jalonnent le goudron gris d’une route, tandis-que la «polycaméra» est embarquée sur un véhicule.
Changement de paradigme
Le langage de l’immersion -- celui de la technologie de « réalité virtuelle » --change totalement les fondements traditionnels du vrai et du faux. Ce langage ne suit pas la grammaire de la réalité objective, mais celle du code et de modèles mathématiques.
Mais Polar Sea 360° n’est pas une « illusion » sur la réalité du milieu marin polaire. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a plus d’objets, il n’y a que des événements, construits comme tels sur la base de l'élimination de leurs caractéristiques objectives. Tout ce qui est perçu est vrai, selon un point de vue particulier.
Quand en 1976, le philosophe Jean Baudrillard écrit : « C’est toute la réalité quotidienne qui a d’ores et déjà incorporé la dimension simulatrice du réel », il anticipe déjà la réalité augmentée. (Baudrillard, L’Echange symbolique et la mort).
Le procédé de l’’immersion fait disparaitre la question classique du simulacre, qui se pose de manière récurrente en déontologie des médias, selon le raisonnement : « si une photo ou une séquence filmée n’est pas réelle, elle est fausse, elle est mensongère ».
Du stade de la reproduction au stade de la participation
C’est à une méthode disruptive de déchiffrage que nous invite l’image immersive. Il ne s’agit plus seulement de passer du visible au lisible, de l’indice au symbole, de l’ordre de la perception immédiate à l’ordre des représentations distantes et détachées, mais d’agir : avec les documentaires immersifs, le spectateur internaute est amené à voir ce qui a pu échapper au documentariste ou au reporter.
Méta-media avait déjà décrit une riche expérimentation de journalisme immersif, via la réalité virtuelle, d'un journal du MidWest soucieux de recoller avec la génération Minecraft.
L’idée est que pour comprendre une réalité (une situation de guerre, la fonte des glaces, la crise agricole), il s’agit de retrouver en elle le processus par lequel elle s’est actualisée.
En cela, on peut dire que le virtuel a tout d’actuel, de réel.
Reste que si le documentaire à 360° soustrait l’internaute à la traditionnelle relation sujet/objet, comment exerce t-il, sans distanciation possible, son esprit critique sur les images visionnées ? Pour juger de ce que nous éprouvons, les degrés sont-ils en mesure de remplacer la distance ?
par @ClaraSchmelck