Pour la première fois en France, le web a joué un rôle important dans les campagnes présidentielles des deux principaux candidats et a représenté autour de 10% de leurs dépenses électorales, soit environ 2 millions d’euros chacun, nous ont confié vendredi à Montpellier leurs représentants lors de la conférence 4M.
Diffusion des programmes, mobilisation des militants et levée de fonds par Internet, comme l’utilisation massive de tous les réseaux sociaux ont fait partie des outils utilisés par les deux camps, ont raconté Pierre Bonis, responsable numérique de NKM, porte-parole de la campagne de N. Sarkozy et Claire Heuzé, codirectrice opérationnelle de la campagne web de F. Hollande.
Normalement l’exemple vient d’en haut. Mais les deux candidats sont connus pour leur peu d’appétance pour l’utilisation d’ordinateurs et d’Internet. Et même s’ils connaissent les enjeux de la révolution numérique et défendent tous deux l’importance du web, c’est leurs équipes qui ont fait la quasi totalité de cette e-campagne inédite.
Avec des différences majeures dans les points forts pour passer du monde virtuel au monde réel.
Camp Hollande : mobilisation web des militants pour organiser le porte à porte
Côté socialiste, c’est d’abord le fichier email et téléphonique (700.000 contacts) obtenu à l’issue des primaires, qui a servi à transmettre d’abord les messages. Avec un taux exceptionnel d’ouverture des courriels d’au minimum 35% !
Puis c’est la mise en place d’un dispositif de fédération par le site TousHollande.fr « d’influenceurs proches des idées du candidat », de recrutement de 80.000 volontaires et d’organisations de porte à porte, « totalement inspiré » de la campagne 2008 de Barack Obama et « déjà expérimenté dans les régionales » qui vise les bureaux de vote de quartiers délaissés où l’abstention est jugée forte. Des outils de formations sont proposés, les visites organisées et les remontées importantes.
« Le succès du porte à porte (une porte ouverte sur 14 a donné un vote positif) peut expliquer un quart à un tiers des écarts de vote du 1er tour entre François Hollande et Nicolas Sarkozy », estime Claire Heuzé. Le site fut aussi un outil de « story telling », ajoute-t-elle, pour valoriser les points forts de la campagne. Et même si François Hollande n’a jamais tweeté personnellement, son compte fut le plus suivi de la classe politique.
Camp Sarkozy : utilisation de l’open data pour défendre un bilan géolocalisé
Côté UMP, c’est Facebook qui a été nettement privilégié, puisque N. Sarkozy y était avant la campagne « un des chefs d’état européens les plus populaires ». Mais c’est surtout « l’utilisation quasi industrielle de l’open data pour travailler le bilan » du quinquennat sur toutes les communes de France qui constitue l’innovation majeure.
Autre faits nouveaux : la possibilité de lever des fonds (parfois de manière supérieure au parti) et d’être confronté au « fact checking » pour vérifier, chiffrer, contester les déclarations des candidats.
Avant le début de la campagne, Sarkozy était parfois crédité de moins de 40% au second tour. « Sa remontée est due en partie au web », estime Pierre Bonis.
Coups bas aussi sur le web et jeux de garçons !
Bataille de hashtags, présence massive des militants qui bombardent Twitter lors des grands moments de la campagne, concours du plus grands nombre de followers ou de fans, autant d’armes utilisées par les deux camps. « Des jeux de garçons », aurait dit poliment NKM.
Plus sérieux et conséquents furent les budgets consacrés à la défense et la protection des sites et des serveurs. « Nous avons subi des attaques allant jusqu’à 750.000 requêtes à la seconde, notamment les vendredis soir précédent les périodes légales de silence électoral », selon Bonis.
Même sentiment côté socialiste, sans chiffrer pour l’instant ces offensives Internet malveillantes.
Top down vs. réseaux sociaux ?
François Péréa, maître de conférences à l'université Paul Valéry de Montpellier et spécialiste des nouveaux médias, juge significative « l’arrivée de la communication politique, traditionnellement très verticale, sur un terrain qui n’est pas le sien, celui très horizontal des réseaux sociaux ».
Des deux côtés, les médias traditionnels ne sont pas prêts d’être abandonnés pour des campagne « web only » ou « digital first », mais on insiste sur l’aspect désormais intégrés des tous les médias, classiques, internet et sociaux.
Sur Internet, « nous n’étions plus dans le laboratoire mais dans la réalité », résume Pierre Bonis. Pour autant, « le temps de la campagne sur le web n’est pas le temps de la participation au projet », ajoute-t-il. D’ailleurs, le candidat socialiste avait un site pour la parole officielle (FrançoisHollande.fr) et un site dédié à la communauté (TousHollande.fr) pour l’activisme et la curation.
La prochaine fois, nous n’en aurons probablement plus qu’un, prédit Claire Heuzé. Les deux pages renvoient désormais à la même page Facebook.
« Le numérique n’est pas hors sol. Il est au service de ce qui se passe dans la vie des gens», conclut-elle.
(Disclaimer : j’étais l’animateur de cette table ronde.)