Et si la seule solution pour les médias passait par leur transformation en vrais commerçants ? Dans le nouveau paysage numérique, vendre des contenus et louer de l'audience ne suffira jamais à pallier l'exode accélérée de la publicité, bientôt incapable de faire vivre des rédactions. Il leur faut absolument profiter du lien unique qu'ils ont avec leur public pour gérer directement des transactions autour de produits et de services, et en tirer des revenus.
"C'est inévitable. Dans 10 ans, 100% des médias seront passés par cette mutation. C'est le seul moyen de remplacer la pub, qui en devenant beaucoup plus efficace, va les quitter", assure avec conviction Ben Lerer, fondateur de Thrillist Media, groupe de magazines lifestyle en ligne.
"Il s'agit donc de penser à prendre non seulement une part de l'attention du public, mais aussi une part de son portefeuille ! ", a expliqué hier soir au Festival South by SouthWest à Austin au Texas, le jeune patron talentueux dans une énorme salle comble.
"Nous allons tous devenir des +millenials+ dans nos usages. Or cette génération ne consomme pas les médias comme avant (...) Elle interagit différemment. L'actif principal d'un média est sa relation unique avec son audience et son influence. Et pour la première fois avec Internet, cette audience consomme des médias et achète au même endroit ! La distance entre le lieu d'inspiration et d'achat a disparu".
"L'objectif est de transformer le lecteur en acheteur et l'acheteur en lecteur. Passer du storytelling au storyselling! Ne pas produire seulement la conscience du produit ou du service mais une intention. Grâce aux données".
Oui, mais c'est quand même plus facile pour un média de lifestyle !
"Certes, répond Lerer, mais cela se passera quand même dans toutes les catégories de médias". Il n'y pas d'autres solutions visibles pour garder une taille suffisante.
Il donne des exemples: par affinités d'audience, la chaîne sportive ESPN devrait racheter la plateforme de tickets de spectacles et de rencontres sportives SeatGeek, voire la marque de vêtements pour hommes Brooks Brothers. Le New York Times devrait acquérir le vendeur en ligne de lunettes Warby Parker et incuber certains e-commerçants qui ont des parentés avec son lectorat haut de gamme. Evidemment en gardant des distances fortes entre éditorial et marketing. Mais les données feront la passerelle.
Certes, ajoute aussi Lerer, nous aurons de plus en plus de médias numériques qui réussiront sur leur niche (comme Vox, Vice, Mashable, Quartz, Business Insider, Gawker, ...). Ce n'est pas si difficile, car ils ont tous compris le mode d'emploi d'Internet :
Mais leurs modèles de revenus reste étroit et pas "scalable" et les empêchera de grandir, sauf peut-être BuzzFeed.
"Car la publicité va être d'ici quelques années à plus de 80% programmatique : elle quittera les publications pour aller, via le big data, donner le bon message à la bonne personne où qu'elle se trouve. C'est terrifiant pour un média dont même les meilleurs vont voir partir la pub".
"Il faut donc monétiser directement son audience -- qu'on connait mieux que personne-- et engager avec elle des transactions directes".
Les médias ont compris comment créer la demande, il leur faut s'organiser pour assurer l'offre de produits et de services. Et au besoin les fabriquer. Cette mutation passe par "une approche techno centrée sur l'exploitation très fine des données", une agilité dans l'auto-promotion sérieuse dans les pages des sites".
"Les commerçants deviennent des médias (Redbull, GoPro, Starbucks...), les média doivent devenir des commerçants"
Thrillist, créé il y a 9 ans, n'est pas seul, indique Lerer: déjà de nouveaux médias en ligne s'organisent en vrais commerçants de produits : Into The Gloss (beauté), Lucky Shop (Condé Nast) ....
Pas d'idées nouvelles des champions d'avant
Un peu plus loin, dans une autre salle, les responsables du New York Times et du Guardian tentaient d'assurer que leur média n'était pas encore mort !
A condition d'être "Digital First" !
"Avec 350 millions $ de revenus tirés du numériques, nous sommes sur le chemin qui va nous permettre de faire vivre du journalisme de qualité dans un modèle digital first", a prédit Meredith Levien, patronne de la pub au NYTimes qui mise énormément sur la pub native bien séparée de l'éditorial et la fourniture d'outils de storytelling aux marques.
Eamonn Store, pdg du Guardian USA, où il n'existe qu'en ligne, fut plus direct : "Nous ne sommes pas là pour faire survivre l'imprimé. Nous sommes ici un pure player et nous comptons beaucoup apprendre pour ramener cette expérience au Royaume Uni !".
Mais peu de pistes nouvelles sont sorties de ce panel de champions, où le Guardian a reconnu que déjà 20 % de la publicité était réalisée en programmatique...