Presse : encore possible d’entreprendre sans se casser la gueule tout de suite !

Par Diane Touré et Barbara Chazelle, Direction de la Prospective, France Télévisions

Est-il encore possible aujourd’hui d’entreprendre dans la presse ? Pour le sociologue des médias Jean-Marie Charon, qui modérait une table ronde sur l’avenir de la presse lors du forum « Entreprendre dans la Culture » il y a quelques jours :

«Nous assistons à une mutation inédite de la presse qui appelle inévitablement à un renouvellement profond de l’offre même si le modèle économique de la presse est dégradé. Ce renouvellement est dû en grande partie à ces nouveaux entrepreneurs constitués à la fois de « pure players », mais également de la presse traditionnelle » .

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Pourquoi entreprendre ? Indépendance & ligne éditoriale innovante

Entreprendre dans la presse, aujourd’hui, semble être un pari risqué ; la situation économique du secteur ne permet pas de trouver facilement des investisseurs et encore moins des annonceurs publicitaires. En 2013, l’ensemble des recettes publicitaires a chuté de 8,47 %.

Qu’est-ce qui pousse donc ces (jeunes) entrepreneurs à se lancer ? La recherche d’indépendance et la création d’une ligne éditoriale innovante sont les deux facteurs complémentaires qui constituent le plus souvent la première pierre à l’édifice.

Pour Marie-Héléne Siéjan, cofondatrice de Médiapart : « Médiapart, c’est à l’origine quatre journalistes qui avaient pour convictions de créer un quotidien d’information généraliste indépendant s’adressant à un public qui ne se retrouvait pas dans l’offre existante »

« Je ne me voyais pas écrire pour les Inrocks ou n’importe quel autre magazine, j’ai donc inventé le mien comme ça je ne pouvais pas être déçu » a déclaré Franck Annese, co-fondateur de So foot, So film et Society.

 Quel business model ?

Pas de réponse unique à cette question ! Le business model d’un média presse doit coller et servir le projet éditorial.

Pour Jean-Christophe Boulanger, co-fondateur de Contexte sur les politiques françaises et européennes, « Il n’y a pas une seule solution aux problèmes ! C’est une époque formidable où l’on peut gagner de l’argent en investissant dans la presse. »

« Il a y plusieurs manière de consommer la presse qui peuvent co-exister», a affirmé Myriam Levain, co-fondatrice de Cheek Magazine, un féminin en ligne.

Estelle Faure, co-créatrice de  Le quatre heures  a décidé de créer un site de reportage multi-médias, où chaque contenu (texte, vidéo ou photo) est un élément irremplaçable et incontournable de la narration et contribue à créer une expérience immersive.

« Nous avons su directement que nous devions nous tourner vers un modèle payant sous forme d’abonnement, car nous ne produisions pas du contenu qui puisse générer du clic et donc de l’audience. Pour ce faire, nous avons eu recours au crowndfunding pour lancer notre campagne de pré-abonnement ; nous ne pouvions pas nous reposer sur nos faibles fonds propres de 14.000 euros ».

Comme pour Le Quatre Heures, Médiapart est arrivé à la conclusion que seul un modèle payant sur abonnement serait viable, en plus de l’apport de deux « business angels » qui ont contribué à hauteur de 500.000€ chacun.

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A l’inverse, Cheek Magazine, qui s’adresse à la génération Y, a préféré ne pas miser sur un consentement à payer de son lectorat, dans un premier temps en tout cas. Il s’est donc tourné vers le crowdfunding d’une part et le brand content d’autre part.

« On fait tout ce qu’on nous a dit de ne pas faire dans nos écoles de journalisme ! On s’est associé à des marques mais vu qu’on est pas sur la mode et la beauté (d’un point de vue éditorial), on n’a pas l’impression de vendre notre âme » a déclaré Myriam Levain.

D’autres encore, comme Laurent Beccaria, co-fondateur des revues XXI et 6 mois, ou Franck Annese se sont appuyés sur les outils qu’offre le numérique pour faire baisser leurs coûts de fabrication, et lancer des produits innovants… dans les kiosques !
Laurent Beccaria a déclaré connaître une croissance à 2 chiffres depuis 10 ans sur ces activités liées à la presse. Du côté de Franck Annese, le magazine Society dont le premier numéro a été vendu à 100.000 exemplaires, devrait permettre à l’entreprise de presse d’atteindre 15 millions de CA en 2015 (vs 6 millions en 2014).

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Pas de modèle miracle donc mais des réussites notables et des projets qui, même s’ils tâtonnent encore (et ne paient pas leur chef la plupart du temps !), ont le mérite de faire bouger les lignes.

« La presse n’est pas morte du tout ; on peut monter un magazine en 2015 sans se casser la gueule tout de suite ! » selon Franck Annese.

L’union des talents fait la force

Point commun à toutes ces entreprises : elles sont collectives. Composée d’anciens collègues/partenaires ou d’amis, l’idée était toujours de créer un cadre de confiance.

Leçon à retenir pour les prochains qui voudraient se lancer : tous ont affirmé que l’équipe de base devait absolument être pluridisciplinaire, avec à minima 3 pôles de compétences : des journalistes et/ou des gens de contenus, une équipe marketing (pour réfléchir le modèle d’affaires et recruter son lectorat…) et une équipe technique.

Retrouvez l’intégralité de la table ronde « Entreprendre dans la presse »

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