Comment BuzzFeed s'attaque (aussi) à l'industrie du cinéma

Par Barbara Chazelle, France Télévisions, Directions Stratégie et Prospective

« A l'heure où la distribution sociale domine, si vos amis ne vous envoient que des contenus débiles, c'est l'image que vous aurez des contenus de BuzzFeed », a déclaré mardi à Cannes Ze Frank, le Président de BuzzFeed Motion Pictures lors du MIP Digital Fronts.

Mais ne vous y trompez pas, BuzzFeed est loin de ne faire que du LOL Cats ou des GIFs à la pelle ; l'entreprise à commencer à s'attaquer à l'industrie du cinéma, incapable d'innover et ruinée par le marketing, en produisant chaque semaine une cinquantaine de vidéos. Aux 200 millions de visiteurs uniques mensuel sur BuzzFeed.com, BuzzFeed Motion Pictures enregistre 1 milliard de vues supplémentaires. Un milliard !! 
   Une performance qui peut s'expliquer par trois axes stratégiques :

  1. l'utilisation par BuzzFeed des formats courts (et de la data qu'ils génèrent) comme laboratoire pour le reste,
  2. une approche centrée sur l'audience existante,
  3. et la remise à plat des modèles de distribution.

Utiliser les formats courts (et la data) comme laboratoire

Lorsque BuzzFeed a décidé qu'ils allaient produire des films, l'idée n'était pas de laisser tomber les formats courts, pas plus que de les transformer en formats longs.

« Je ne crois pas à la notion de "graduation" ; ce n'est pas comme ci le business des formats courts existait pour évoluer en autre chose », a affirmé Frank.

Selon lui, les deux modèles peuvent coexister. Ils ont des rôles différents et peuvent même « tirer avantage l'un de l'autre. » C'est d'ailleurs la mission principale de Michael Shamberg, producteur de Pulp Fiction, qui a rejoint les équipes de BuzzFeed l'année dernière.

« Il n'y a pas de R&D à Hollywood, aucun studio ne fait un film pour voir s'il veut en faire un meilleur. Les studios n'ont pas du tout la capacité d'innover ; les sommes investies sont tellement énormes qu'ils avancent très lentement » a-t-il expliqué. « BuzzFeed est un gros labo de R&D. Si une vidéo de 2 minutes trouve son public, on en fait d'autres et on itère. Difficile à faire avec une narration de 22 minutes pour un format TV ou de 100 minutes pour le cinéma ! »

« On peut faire des vidéos courtes et tester le casting, comment ils s'en sortent avec les dialogues, tester les lieux de tournage... » a ajouté Frank.

Quant à l'utilisation des data, elles n'auraient pas un rôle de « commande et de contrôle » mais serviraient plutôt à identifier des tendances de niche inexploitées par les médias traditionnels.

niche

Elles sont utilisées aussi comme outils pour aider les créateurs.

«  Nous créons un "environnement data" afin que tous nos producteurs et créatifs puissent constamment regarder leur travail et se demander pourquoi cela marche ou ne marche pas. » a expliqué Frank, un des pionniers admirés de la vidéo sur le web depuis le début des années 2000.

Selon Shamberg, « au final, nous vendons de l'émotion. Les gens pensent que tout tourne autour de la data sur Internet, mais chez BuzzFeed, tout tourne autour de l'émotion, ce qui fait que vous avez envie de partager un contenu. »

  • buzzfeed

Miser sur son bassin d'audience

« Nous voulons nous appuyer sur les bassins d'audience existants. (…) Les contenus courts peuvent se viraliser presque sans friction sur le web ; c'est un moyen fantastique de créer des affinités avec des programmes ou des personnages. Cette affinité pourra ensuite se traduire dans quelque chose de plus large » selon Frank.

Pourquoi s'épuiser à aller conquérir un nouveau public lorsqu'on peut amener, doucement mais surement, celui qu'on a sous la main vers des nouvelles formes narratives ? Et de ce fait, réduire considérablement les frais de marketing et de communication ! Concernant un de ces projets cinématographiques, Shamberg a raconté que son film avait coûté 7 millions de dollars.. et que le studio en avait dépensé au moins 20 millions en marketing. Selon lui, en s'appuyant sur la base des centaines de millions d'utilisateurs en ligne, il serait possible d'éviter ce genre de gouffre financier.

« En faisant une petite vidéo, on peut dire au public "hey, on fait un film !" Et avant même d'écrire une ligne, nous avons déjà une audience » 

Réinventer la distribution

Sans délaisser les médias sociaux, Frank a reconnu vouloir tester d'autres formes de distribution.

« Tout est sur la table, de modèle gratuit à la création de fenêtres d'exclusivité, en passant par l'exploitation en salle... » a-t-il dit.

Selon lui, il y a trois choses dont on peut bénéficier lorsqu'un contenu est mis sur le marché : de l'argent, de la data ou des relations stratégiques.

« Idéalement nous voulons les trois, mais nous avons beaucoup de flexibilité pour tester le futur de la distribution ! » a-t-il conclu.

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