En 2016, Paris sera t-elle une smart city ?
Par Clara Schmelck, journaliste médias à Socialter, billet invité
En 2015, toutes les grandes capitales de la planète auront voulu être des smart cities. Si la notion renvoie à un objectif de ville « connectée » ou « verte », à Paris, elle incarne plus fortement une culture de la citoyenneté retrouvée à travers une utilisation collective, créative et réfléchie du numérique.
Développement numérique
Smart City : ce mot-valise qui fut ultra-tendance en 2015, évoque une cité futuriste de l’ère du numérique, tirant partie des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Une ville hyperconnectée est équipée de capteurs, de puces, de GPS, d’antennes, de caméras, de cellules, de domestique dans le mobilier urbain, les bâtiments, la chaussée, les moyens de transport, les arbres. Chaque objet, dès lors « intelligent », peut communiquer, produire et échanger des données, renseigner le big data de la ville. Stockées, croisées et valorisées, ces informations entraîneraient une amélioration de la vie quotidienne des citadins, qui y accèdent via mobile, tout en rationalisant les coups en terme de consommation d’énergie, en accompagnant la transition écologique et en développant la démocratie participative.
L’échelle de la municipalité est la plus pertinente en terme de démocratie locale participative. « Plus près des problèmes qui affectent la planète et sa population, les villes sont tenues d’y répondre plus vite que les États. Elles ont ainsi l’occasion d’apporter des remèdes immédiatement opérationnels et efficaces. », notait un observateur lors du forum Smart City du Grand Paris organisé par le quotidien La Tribune fin novembre à Paris.
Selon un sondage de l’Observatoire des politiques publiques, réalisé par l’Ifop pour EY et Acteurs publics en septembre 2015, le développement numérique constitue « un enjeu central pour la ville de demain ». Près de huit Français sur dix jugent important ou prioritaire le développement numérique des villes. La réduction de la dépense publique et l’amélioration de la sécurité arrivent en tête des priorités assignées aux « villes intelligentes ». Autrement dit, l’idée de ville intelligente redynamise l’espoir d’une citoyenneté de proximité qui rime avec efficacité et participativité.
Culture de la démocratie
Lors du Conseil de Paris des 26 et 27 mai 2015, la municipalité s’est dotée d’un « Plan stratégique pour la ville intelligente et durable – perspective 2020 et au-delà » qui n’a rien d’un calendrier des bonnes intentions. Pour devenir « smart-friendly », Paris sait qu’elle doit être capable d’inscrire en synergie les acteurs essentiels, et que l’Etat lui en donne les moyens en impulsant des dispositifs de soutien à l’économie numérique tels que la labellisation French Tech dans 13 métropoles françaises, ou encore la création d’un volet « innovation urbaine » au titre du Programme d’investissements d’avenir (PIA), l’État a résolument rompu avec la pratique du saupoudrage des crédits. Par ailleurs, la mission Étalab a permis d’ouvrir d’un portail de données publiques qui réunit progressivement l’ensemble des acteurs publics, y compris territoriaux – ce que l’initiative locale, non standardisée, n’avait pas permis de faire éclore.
Au Forum Smart City du Grand Paris, l’édile Anne Hidalgo a dessiné une ville « ouverte », avec « l’humain au cœur du dispositif », « connectée » et ingénieuse », dont l’intelligence collective est une matrice d’idées, d’initiatives et de solutions. A l’appui : les plans de Jean-Louis Missika, adjoint à la mairie de Paris en charge de l’urbanisme, de l’architecture, du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité. Il planifie que d’ici à 2020, toutes les livraisons, la logistique dernier kilomètre, se feront à pied, à vélo ou en véhicule électrique. Grâce aux données bien utilisées, la logistique fluviale et ferroviaire va beaucoup se développer. Les nouveaux bâtiments et quartiers seront intelligents. Missika en veut pour preuve les smart grids, ou compteurs intelligents, qui télérelèvent tous les compteurs d’eau, ou encore les 100.000 arbres parisiens dotés d’une puce permettant des cartographie utiles pour la végétalisation annoncée ou le développement de l’agriculture urbaine.
En réconciliant théorie et pratique, tâches administratives et actions efficaces sur le terrain, la « ville intelligente » à la parisienne porte le projet de donner maturité à la démocratie en la libérant de ses deux maladies infantiles que sont, d’une part, la bureaucratie et de l’autre, la rhétorique populiste.
L’idée parisienne de smart city ne consiste pas dans le fait de doter la ville de dispositifs technologiques et de créer des compétences assorties, mais d’orienter la démocratie locale dans le sens du progrès.
D’où l’insistance avec laquelle acteurs politiques et chercheurs s’emploient à replacer la notion de smart city dans la perspective de la culture. Comme l’a rappelé Milad Doueihi, professeur à l’Université de Paris Sorbonne, lors du Forum Smart city du Grand Paris, il est impérieux de « penser l’avenir des sociétés numériques avec les outils de nos traditions humanistes » est indispensable pour « comprendre les mutations que le numérique apporte dans nos regards sur les objets, les relations et les valeurs ».
Penser le futur
On le voit, les programmes de smart city déploient une vision séduisante du futur, assimilé à un champ illimité de possibles positifs et heureux : le développement économique et les nouveaux écosystèmes de startup, le développement de la mobilité des citoyens, les projets innovants dans le secteur de l’énergie pour soutenir le développement durable, et les e-services pour développer l’e-administration.
Bien que co-construction, collaboration et partenariats soient autant de mots-clefs pour les acteurs de la smart city, ces intentions ne sont pourtant pas aisées à mettre en application, car elles soulèvent de multiples questions en termes d’organisation, de gouvernance et de partage de la valeur. Par exemple, faut-il un guichet unique pour interagir avec la ville ? Quelle entreprise d’un groupement est la plus légitime pour assurer le rôle d’intégrateur selon les projets ? Qui est le propriétaire de la donnée collectée et comment assurer sa potentielle monétisation ? Et, pour l’instant, le nombre de retours d’expérience est faible.
Open Data : la ville ouverte
Dans sa vision de l’intelligence, Paris semble s’inspirer de sa soeur jumelle New York, avec son service « NYC Open Data » qui a pour vocation de rassembler et d’exploiter la richesse des données publiques produites par divers organismes de New York et d’autres organisations de la ville, et de les mettre à la disposition du public. Le site de la mairie de New York décrit ainsi l’Open Data comme l’invention d’un trésor public contemporain. Ce catalogue, fonds sans fond, offre « un accès à un référentiel d’ensembles de données lisibles par tous les citoyens » . N’importe qui peut utiliser ces ensembles de données pour participer à son tour à la recherche de data, voire à la création d’applications. « La data, c’est un service public qui va dans les deux sens », nous explique un représentant de la mairie de New York, qui voit dans l’Open Data une technologie propice à l‘instauration de rapports horizontaux entre citoyens et administrateurs de la ville.
Le risque pour les acteurs publics aussi bien que pour les entreprises est de faire de l’open data, nerf de la smart city, un sésame qui permettait de faire l’économie de toute réflexion critique sur la tension entre les nouvelles technologies et les humains qui sont les citoyens des villes.
Il convient tout d’abord garder à l’esprit que le mot « open data » reste très ouvert. Vocable dérivé du big data, il désigne l’exploitation des données des citoyens par les Etats à des fins civiques, apprend t-on sur le site du Sénat de la République Française. Toujours est-il que ces données publiques sont souvent « mélangées » aux données anonymisées traitées par les entreprises. La question de la protection des données personnelles ne peut donc être évacuée d’un élan d’enthousiasme.
Vision technocentriste ?
« Nous sommes en pleine vision technocentriste » avertit Francis Pisani, journaliste et spécialiste des villes intelligentes. Dans son ouvrage Voyage dans les villes intelligentes : entre datapolis et participolis, il explique qu’il est important de passer du stade de la datapolis à celui de la participolis, qui repose sur les humains et leur participation au design et à la gestion des villes.
En prenant des exemples de métropoles dans le monde entier, il démontre comment la vraie intelligence des villes se trouve dans la « tension productive » entre big data et recours massif aux ordinateurs d’un côté avec, de l’autre la participation citoyenne, elle aussi facilitée par le recours aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Ainsi, Oxford Flood Network, cité par Francis Pisani, est un réseau construit par les citoyens pour détecter les niveaux d’eau dans et autour d’Oxford et fournir des données hyper-locales sur les inondations utilisables par les entreprises aussi bien que par les citoyens.
La question de la participation pose en même temps celle de l’usage. Pour l’instant, acteurs publics et privés, chercheurs, journalistes, architectes… présentent des projets et construisent des discours partent en partant du postulat d’une ville vécue de la même manière pour tous, sans se demander qui sera l’usager de la ville intelligente, ni quelles typologies des usages de la ville intelligente pourraient être opérantes. Celle-ci représentera-telle un progrès social en faveur d’une « e-démocratie » globale ou une boîte à outils réservée à une élite « numérique » ? La ville intelligente pose ainsi en lame de fond des questions d’égalité dont les collectivités seront obligées de se saisir, notamment sur le plan juridique. A l’heure où les grandes capitales se revendiquent smart cities, l’intelligence commune n’a jamais été autant mise à l’épreuve.