Rencontre avec 3 héros de l’Internet
Par Alice Pairo, France Télévisions, Direction de la Prospective
Alexandre Lacroix, essayiste, romancier et directeur de la rédaction de Philosophie Magazine est l’auteur d’un nouvel ouvrage sur Internet et ses usages. Dans « Ce qui nous relie – Jusqu’où Internet changera nos vies ? », il pose un regard nouveau, philosophique sur le sujet.
« Dans nos conversations, dans les médias, il est souvent question d’Internet : des réseaux sociaux, des géants de la Silicon Valley, des nouveaux usages liés au numérique. Mais voyons-nous clairement où cela nous mène ? ».
Des « rencontres décisives » pour reprendre les mots de l’auteur, lui ont permis d’entrevoir impact et potentialités du web dans une démarche de journaliste et de romancier. Il en fait part dans cet ouvrage, qu’il a présenté cette semaine au Tank.
A l’origine de l’ouvrage
Pour Alexandre Lacroix, si nous pouvons avoir une vision morose de notre temps – nombre d’indicateurs nous y poussent – on peut aussi, en prenant en compte la rupture importante à laquelle nous assistons avec le web, regarder l’Histoire contemporaine de manière plus enchantée. C’est le parti pris de l’écrivain qui considère comme une chance le fait d’assister à la naissance et l’expansion d’Internet.
Un « spectacle » qui affecte profondément nos existences puisqu’il atteint la totalité des sphères d’activités. Si d’autres ruptures ont déjà eu lieu (invention de l’écriture, de l’imprimerie), jamais nous n’avons connu de pénétration et de diffusion aussi importante qu’avec Internet. C’est le point de départ de l’ouvrage : la technologie a changé nos vies, notre quotidien. Mais plutôt que d’évoquer les grandes tendances, Alexandre Lacroix choisit de parler de trois personnes aux projets grandioses et anticonformistes. Un angle particulier et inspirant pour montrer les potentialités qu’offre Internet.
Julian Assange et le nouveau paradigme étatique
Le premier personnage de ce roman/essai, Alexandre Lacroix l’a rencontré à deux reprises en Angleterre ; il s’agit de Julian Assange. La même devise alimente sa démarche depuis sa jeunesse à Melbourne « transparence pour les puissants, respect de la vie privée pour les faibles ». Elle témoigne de sa vision de l’Etat et des grandes organisations, perçus comme « des ordinateurs dont on peut extraire des informations cachées » – qui si elles sont cachées concernent potentiellement de lourds secrets comme des crimes d’Etats ou des affaires de corruption.
En exhortant L’Etat à rendre publiques des informations classées, Assange encourage à reconfigurer les luttes politiques, sans avoir besoin de passer par un média institutionnel qui donnerait son aval pour la publication.
Philippe, le « truther »
Alexandre Lacroix nous présente ensuite Philippe, un homme vivant au Paraguay que l’on peut considérer comme un conspirationniste. Lui se présente comme « truther » (« chercheur de vérité »).
Si certaines de ses suppositions peuvent paraître délirantes – aux faits réels et troublants se greffent de façon évidente des fantasmes – il est intéressant d’observer la façon dont cet homme tente de construire une contre-Histoire. L’ampleur et la variété des faits qu’il a collectés sont d’ailleurs colossales. Par sa démarche, il pose la question de la construction de notre Histoire à l’heure où nombre d’archives se trouvent sur la toile et où l’on peut craindre une obsolescence de la base matérielle.
Aussi, comme l’explique Alexandre Lacroix, en Histoire, « on considère un fait avéré si deux sources absolument indépendantes décrivent la même chose » et il est difficile dans un monde d’interconnexions de « garantir l’étanchéité des sources » – la porosité entre sources officielles et officieuses est croissante – et où on ne peut « instaurer une police d’opinion » qui installerait une histoire officielle. Une question d’autant plus importante que la masse des récits sur notre temps s’y diffusant est de plus en plus importante.
Peter Thiel veut tuer la mort
Enfin, l’auteur dresse le portrait du milliardaire américain à l’origine de Paypal, Peter Thiel. Passé par Stanford d’où il sort diplômé en Philosophie, ses convictions sont très en lien avec ses investissements financiers.
Il se rattache notamment au courant de pensée libertarien, mais aussi transhumaniste. Il adhère aux discours utopiques qui guident les investissements dans le domaine de la médecine numérique et de développement d’interface hommes-machines, souhaitant comme beaucoup repousser les limites de la mort.
Alexandre Lacroix admet qu’il est difficile d’établir des pronostics sur ce profil et ces désirs là. Car si les luttes précédentes (qui concernaient l’Etat et l’Histoire) touchaient à des choses assez permanentes, on entre avec les questions liées à l’Homme augmenté dans un monde pour lequel nous sommes « philosophiquement peu armé ».
Quand on demande à Lacroix pourquoi ses choix se sont portés vers ces personnalités, il cite en premier lieu le caractère héroïque et romanesque de chacune d’entre elles : « le héros de roman c’est celui qui va plus loin, pour construire une bonne histoire, il faut des gens qui vont plus loin ».
Il les a aussi bien sûr choisies pour les idées qu’elles portent : leur aspect extrême « les trajectoires tranchées et absolues font réfléchir », et universel « Le grand homme pour Hegel est celui qui porte une idée universelle, son action porte quelque chose d’universel, ce qu’illustre Assange par exemple ».