Qui sont vraiment les Millennials ? Anatomie d’un buzzword

Par Alexandra Yeh, France Télévisions, Direction de la Prospective

Silent generation, baby boomers, génération X : nous n’aimons rien tant que labelliser, classer et étiqueter les générations. Dernières victimes en date ? Les jeunes nés entre 1980 et 1995 (ou 1980 et 2000, personne ne sait vraiment). Le monde du marketing a tranché, récupérant au passage un terme inventé en 1989 par deux historiens : ce seront les Millennials.

Progressivement, le mythe s’est façonné : le Millennial serait donc ce jeune ultra connecté, diplômé de l’enseignement supérieur, adepte de l’économie collaborative et sensible aux enjeux environnementaux. C’est toute une imagerie qui s’est construite autour de la figure – fantasmée ? – d’un jeune urbain, écolo, entrepreneur et engagé.

Une description qui ressemble davantage à un entassement de clichés qu’à un portrait représentatif de la diversité de millions d’individus… Il faut dire que ce mot valise est bien commode pour des médias et des marques en mal de jeunesse cherchant à cerner ce public insaisissable. Le Millennial est un personnage bien identifié, et de fait, rassurant.

Mais qu’y a-t-il vraiment au-delà du cliché ?  La question vaut la peine d’être posée, considérant que les Millennials représentent près de 2 milliards d’individus dans le monde. C’est ce qu’a entrepris de faire le think tank La Fabrique de la Cité dans sa dernière étude, « Les Millennials, une légende urbaine ? » en passant au crible sept idées reçues sur cette génération surmédiatisée.

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1Une génération urbaine ?

Première caractéristique : le Millennial serait forcément urbain. Comme le note l’étude, les jeunes privilégieraient la ville

« poussés par l’évolution du marché du travail et des niveaux de revenus, la mutation des modes de vie (rallongement de la durée des études, âge plus tardif du mariage) et par une préférence accrue pour un environnement plus dense, desservi par les transports publics ».

Il est vrai que les jeunes sont statistiquement plus nombreux à s’installer en ville qu’en zone rurale. Mais ce qu’on observe, c’est surtout une polarisation des lieux d’habitation en fonction de leurs revenus : sans surprise, le cliché du Millennial vivant en hypercentre s’applique surtout aux jeunes les mieux lotis, tandis que les autres se concentrent davantage sur des espaces, urbains certes, mais plus périphériques. Le stéréotype du Millennial urbain est donc à relativiser.

2La colocation plutôt que la propriété

A l’ère d’Uber et d’Airbnb, les Millennials seraient une génération plus attachée au partage qu’à la propriété et la colocation serait ainsi devenue la norme. Une idée corroborée par les chiffres du logement : aujourd’hui en France, moins de 10% des primo-accédants ont moins de 30 ans.

Mais plus qu’une aversion pour la propriété, cette tendance reflète surtout une conjoncture économique de moins en moins favorable pour les jeunes (polarisation des revenus, diminution du pouvoir d’achat et de l’épargne) et un changement structurel des modes de vie (durée des études allongée et entrée plus tardive sur le marché du travail, âge plus avancé du mariage).

Ce n’est donc pas un supposé amour du partage et de la vie en communauté qui pousserait les Millennials à repousser l’âge de l’accession à la propriété, mais bien l’effet croisé de la conjoncture économique et de la transformation des modes de vie.

3Les transports en commun plutôt que la voiture

Métro, bus, train, covoiturage… Selon les marketeux, le Millennial serait un adepte des transports en commun. En France, la SNCF l’a bien compris et développe de plus en plus d’offres spécifiquement destinées à séduire les jeunes – citons par exemple TGV Pop, Ouigo ou encore Ouibus.

TGVpop, une offre explicitement destinée aux jeunes
TGV Pop, une offre explicitement destinée aux jeunes

Mais selon La Fabrique de la Cité, cet arbitrage pour les transports en commun n’est en rien « la conséquence d’un changement dans la façon de concevoir la mobilité qui serait propre à cette génération ». Au contraire, la tendance à délaisser la voiture touche toutes les générations et résulte surtout d’un arbitrage motivé par des contraintes économiques.

4Une sensibilité accrue aux enjeux écologiques

Sensibilisé depuis l’enfance à la protection de l’environnement, le Millennial serait ‘green’, ‘eco-friendly’ et ‘bio’. Une idée reçue qui ne se vérifie pas toujours dans les faits : paradoxalement, les jeunes

« se montrent simultanément sensibles à l’argument de vente du ‘durable’ et du ‘vert’ et ignorants du coût écologique de leurs usages, notamment de leur utilisation vorace des nouvelles technologies. »

Pas de généralisation possible, donc : certains Millennials sont sensibles aux enjeux écologiques, d’autres moins… mais aucune tendance générationnelle ne se dégage.

5Une dilution des frontières de l’espace de travail

Vous n’avez pas pu échapper au cliché du jeune actif travaillant sur son ordinateur portable, un café à la main, installé dans un espace de coworking rempli d’autres jeunes actifs sur leurs ordinateurs. Aujourd’hui, les Millennials seraient de plus en plus friands de ces « tiers-lieux » oscillant sans cesse entre espaces de travail et de loisir.

C’est vrai, mais l’apparition de ces tiers lieux n’est que la conséquence d’une transformation plus intrinsèque du travail : ce qu’on observe, c’est l’effacement des frontières même de l’espace de travail – et cet effacement ne touche pas que les Millennials. Comme le note la Fabrique de la Cité : aujourd’hui,

« le lieu de travail dans sa forme la plus incompressible est désormais l’ordinateur portable, voire le smartphone. […] C’est l’idée même d’attribuer à un espace la fonction exclusive de lieu de travail qui se trouve remise en cause ».

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6Une réinvention de l’implication citoyenne

Les Millennials sont-ils vraiment la génération engagée que nous décrivent souvent les médias ? Des mouvements jeunes comme Occupy Wall Street, la Zone à défendre de Notre-Dame des Landes et plus récemment Nuit Debout ont contribué à forger cette image du jeune citoyen se battant pour des causes nobles. Et à raison.

Mais plus que l’appartenance à une génération, c’est surtout le niveau d’éducation et le capital culturel des individus qui révèlent leur potentiel engagement civique et politique. Difficile donc d’affirmer que « le Millennial est engagé » quand c’est avant tout le passage par l’université « qui conditionne l’envie et la capacité de participer à la vie de la cité ».

7Un nouveau rapport à la ville ?

Derrière ce stéréotype, le portrait du Millennial comme « un jeune urbain connecté vivant dans un ‘village métropolitain’ ». En fait, il est peu pertinent de distinguer le rapport à la ville des Millennials de celui de leurs aînés. Globalement, leurs attentes sont les mêmes : qualité de l’environnement et des infrastructures, sécurité.

Plus qu’un cliché, ce stéréotype du jeune urbain aurait même été volontairement nourri par les acteurs des politiques de la ville pour « marketer efficacement [leur] politique [de connectivité des espaces publics] en l’associant à une figure séduisante du jeune actif ». Une instrumentalisation du concept de Millennials qui montre bien que les clichés qui lui sont attachés sont à manier avec précaution !

On l’a vu, la figure du Millennial est l’objet de tous les fantasmes. Plutôt que le reflet fidèle d’un segment de la population, elle est surtout un miroir grossissant sur le mode d’une vie d’une partie de cette population. Car comme le conclut l’étude, « la grille d’analyse générationnelle s’avère systématiquement moins pertinente que d’autres prismes, tels le niveau de revenu et l’éducation ».

Dès lors, faut-il renoncer à ce terme qui s’apparente davantage à un raccourci intellectuel qu’à une réalité factuelle ? Pas nécessairement. L’idée n’est pas tant d’abandonner la figure du Millennial – que nous sommes les premiers à évoquer dans nos analyses – que de l’employer avec la précaution et le recul qui conviennent, en ayant conscience de ses biais idéologiques et sociologiques.

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