Par Alexandra Yeh, France Télévisions, Direction de la Prospective
Difficile aujourd’hui de se rappeler qu’un jour la télévision fut seule en son royaume. Alors que le programme télé fait désormais figure de relique du passé, le temps où les chaînes traditionnelles n’avaient pas à s’inquiéter des Netflix, Amazon et autres Hulu semble bien loin.
La télévision aujourd’hui, ce n’est plus seulement le petit écran qui trône au milieu de votre salon, ce sont aussi – et surtout – les séries sur votre ordinateur à la maison, les vidéos sur votre téléphone dans le bus, ou les émissions que vous rattrapez sur votre tablette le lendemain de leur diffusion. Bref, comme l'explique le récent rapport Ooyala sur l'état des lieux de l’industrie audiovisuelle en 2017, la nouvelle norme de la télévision, c’est l’OTT.
Go OTT or go home
L'OTT, ou over-the-top, désigne la télévision par contournement, c’est-à-dire tous les services qui proposent des contenus audiovisuels via Internet sans passer par le canal traditionnel d’un opérateur, qu'il soit une compagnie de câble, de téléphone ou de satellite.
L'OTT recouvre notamment tous les types de vidéo à la demande : SVOD (service de vidéo à la demande par abonnement), TVOD (VOD achetée à l'acte) et AVOD (VOD gratuite financée par la publicité) ainsi que les plateformes de vidéo en streaming comme YouTube ou encore Vimeo.
Si ces services par contournement ont un jour fait figure d’outsiders, de compléments à la télévision linéaire classique, ce sont eux désormais qui sont les véritables moteurs de l’industrie audiovisuelle. Face à la transformation des usages et à la saturation du marché, les chaînes sont poussées dans leurs retranchements et se retrouvent face à un dilemme : se renouveler ou disparaître dans le foisonnement d'une offre de contenus toujours plus vaste.
Dans ce nouvel écosystème, les spectateurs sont les véritables faiseurs de rois. En s'abonnant à tel ou tel service de SVOD ou en regardant des vidéos sur telle ou telle plateforme de streaming, leurs millions de clics font et défont les carrières des géants de l'industrie. Et ils sont toujours plus exigeants.
Le public consomme toujours de la vidéo... mais à ses conditions
En 2016, la consommation moyenne de vidéo mobile a augmenté de 4 heures par rapport à 2012, tandis que la consommation hebdomadaire de télévision a diminué de 2 heures et demi. S'il n'y avait qu'une leçon à retenir de la mutation du paysage audiovisuel ces dernières années, ce serait donc celle-ci : ce n'est pas la télé que le public délaisse, mais la programmation de masse, indifférenciée et à heures fixes.
Le public aime toujours la vidéo, mais à ses conditions : il veut pouvoir décider des programmes qu'il visionne, à quelle heure et sur quels supports. Et le support de prédilection, pour beaucoup, c'est désormais le mobile : après avoir officiellement dépassé le desktop en 2016 à la fois en termes de trafic web et de visionnage de vidéo, il continue cette année à s'imposer comme le premier écran. Une tendance favorisée par les progrès en termes de connectivité et de capacité de la bande passante, qui permettent d'améliorer la vitesse de chargement et la qualité des vidéos et donc l'expérience utilisateur.
Mais les pratiques de visionnage ne changent pas seulement d'écrans, elles se transforment aussi plus en profondeur :
- Après le cord-cutter, un nouveau type de spectateur émerge : le 'cord-cobbler' (littéralement le cordonnier) qui recherche une offre sur mesure, un package qui lui permettrait de piocher à sa guise parmi les catalogues des différentes plateformes de VOD
- Le binge-watching continue de s'imposer dans les usages : il concerne 70% des spectateurs aux Etats-Unis, pour le plus grand bonheur des plateformes de VOD qui publient leurs séries par saisons entières. Les diffuseurs traditionnels prennent acte de cette transformation en programmant de plus en plus souvent plusieurs épisodes à la suite pour imiter l'offre OTT.
- La consommation en mobilité explose : 40% des utilisateurs se disent déjà intéressés par un forfait mobile illimité qui leur permettrait de consommer de la vidéo en streaming 'on the go'.
Bref, le temps où l'on attendait impatiemment le film du samedi soir semble bel et bien révolu. Et si les nouveaux géants de l'audiovisuel comme Netflix, Amazon et YouTube l'ont bien compris, les diffuseurs traditionnels, bousculés dans leurs certitudes, ont mis du temps à remettre en question leurs habitudes bien ancrées. Et commencent seulement aujourd'hui à rattraper leur retard...
Les diffuseurs traditionnels réagissent
En France, TF1 a lancé l'offensive en ce début d'année en annonçant sa prise de participation, en partenariat avec le groupe italien Mediaset, dans le multichannel network Studio 71, qui agrège plus de 1.000 chaînes YouTube, réunit 405 millions d'abonnés dans le monde et génère plus de 6 milliards de vues par mois. Même son de cloche chez la BBC, qui s'est récemment associée à la chaîne privée britannique ITV pour lancer Britbox, un service de vidéo à la demande par abonnement destiné au marché américain.
Des stratégies qui n'ont rien d'anodin : en formant des partenariats pour proposer de nouvelles offres de contenu en ligne, les diffuseurs traditionnels montrent qu'ils ont pris acte des nouvelles attentes du public et qu'ils sont enfin prêts à bousculer les vieux paradigmes de la télévision pour se lancer dans l'OTT.
Mais avec quel modèle ?
Mais le plus dur reste encore à faire : bâtir l'offre qui séduira le plus grand nombre d'internautes. Entre la construction d'un catalogue de contenus et la définition du modèle de financement (abonnement, publicité, achat à l'acte), les choix stratégiques sont cruciaux.
De nouveaux modèles émergent et les chaînes traditionnelles pourront par exemple s'inspirer de Hulu et CBS All Access, qui proposent un modèle hybride à mi chemin entre la SVOD et l'AVOD. Leurs spectateurs peuvent ainsi choisir entre un abonnement plein tarif sans publicité ou un tarif réduit avec publicité.
L'autre challenge de l'OTT sera évidemment celui de la programmation et plus particulièrement de la découvrabilité des contenus. Savoir exploiter les données de visionnage des utilisateurs pour leur proposer des recommandations continuera d'être, selon Ooyala, l'un des facteurs clés d'un service OTT réussi.
Enfin, Ooyala insiste sur la nécessité pour les plateformes OTT d'investir dans la création originale. Le succès fulgurant des séries Netflix l'a montré, le public est en demande de programmes nouveaux et de qualité. Et Netflix ne compte pas en rester là : la plateforme de Reed Hastings a déjà annoncé que les séries originales représenteront bientôt 50% de son catalogue. Comme NBC, HBO ou encore Amazon Prime qui dépensent déjà des milliards dans la création de contenus inédits, les services d'OTT devraient donc capitaliser sur la création originale pour créer une image de marque et fidéliser leur public.
Plus d'excuse donc aujourd'hui pour prétendre que le streaming et la VOD ne seraient que des tendances éphémères.
En quelques années, ces nouveaux modes de visionnage ont profondément transformé la télé. Aux diffuseurs maintenant, de prendre leurs responsabilités et de proposer enfin des offres taillées pour les nouveaux usages du public. Car la mutation de la télé se fera avec ou sans eux.