Ne vous méprenez pas : les vraies stars du festival de Cannes, ce sont les journalistes

Par Gautier Roos, France Télévisions, Direction de la Prospective

12 jours de festival pour une couverture qui ne s'arrête pour ainsi dire jamais : derrière le faste et les costumes cintrés, Cannes c'est aussi une armée de journalistes - en polos fatigués - qui peinent à libérer du temps pour pondre leur livraison quotidienne.

Pas spécialement prisé en dehors de la parenthèse cannoise, le métier de journaliste ciné nourrit subitement tous les fantasmes pendant la quinzaine. Du critique chevronné arpentant la Croisette depuis les années 1960 au jeune blogueur officiant pour un pure-player né il y a moins de 18 mois : les privilégiés du festival sont bel et bien les journalistes, dont le badge, qui prend une couleur différente selon l’expérience ou la portée du média, permet d’assister aux séances sans même réserver de billets.

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Chaque année, environ 4 500 journalistes obtiennent le précieux sésame pour couvrir le plus grand festival au monde, soit à peu près un dixième du personnel accrédité. Plus de 2000 médias sont invités à cette grand messe, maillant pendant 10 jours un territoire couvrant virtuellement 89 pays (chiffres de 2015).

Evidemment, cet afflux de journalistes ne concerne pas que des critiques de cinéma : les sites culturels, mais aussi la presse people et lifestyle, se doivent de répondre présents à un événement qui est aussi un tremplin pour les égéries et les marques.

Pour la presse sur place, la fonction s'est démocratisée : on ne recensait par exemple que 700 journalistes lors de l’édition 1966 ! Une époque bien lointaine où le critique de cinéma devait attendre patiemment le tirage du lendemain pour voir son papier publié, après validation d'un rédacteur en chef ou d'un secrétaire de rédaction. Certes astreint à s'enfiler lui aussi une demi-douzaine de longs métrages par jour, le critique d'antan pouvait au moins regrouper ses impressions sur un long format résumant l'essentiel de sa journée.

Un métier rigoureusement différent de celui exercé aujourd'hui donc, où la double injonction du clic et de l'immédiateté pousse la presse à produire son papier le plus rapidement possible. Pas question, bien évidemment, d'attendre le lendemain de la projection pour évoquer le "dernier Ozon" ou le "nouveau Coppola" : à l'échelle cannoise, 24 heures en valent trois fois plus. Raison pour laquelle les séances presse sont assez souvent programmées en amont de leur présentation en sélection officielle, c'est-à-dire la veille ou le matin même.

Terrible cas d'obsolescence programmée : dès lors que la concurrence a déjà tout dit sur le film en question, votre papier a beau disposer de toutes les qualités du monde, il ne vaut déjà plus rien ! Sur place, on est d’ailleurs stupéfait de constater à quel point un film événement en chasse rapidement un autre : la presse qui s’écharpe violemment sur le dernier opus de Michel Hazanavicius a déjà oublié le film le lendemain.

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L’agressivité critique est certes démultipliée, amplifiée à la fois par la masse médiatique et des réactions à chaud pas toujours objectives, mais à l’instar d’un bad buzz sur Twitter, l’affaire rejoint vite les classeurs bien vétustes de l’histoire. Sauf quand le film honni ressurgit au moment du palmarès, comme c’est le cas cette année…

Une pression s'invite donc sur les épaules du journaliste, contrait de dégainer l'application Notes à chaque sortie de séance, afin de fignoler un article pas trop mal fichu entre deux interviews. Il est déjà compliqué de rester attentif après avoir vu cinq films par jour : ça l’est plus encore de trouver l’inspiration après quelques heures de sommeil (auxquels s'ajoutent quelques verres dans le sang, permettant de faire remonter à la surface certains souvenirs de la veille). Les traditionnels jours de récupération, figure imposée du journaliste à sa rédaction dès son retour, se justifient aisément.

Mais cet emballement médiatique se fait parfois au détriment de la qualité : la loi du nombre prévaut pour certains médias, pour qui montrer « qu'ils y étaient » est plus important que d’avoir quelque chose à dire. Cannes est peut-être le seul festival où les images parlent d’elles-mêmes, un épiphénomène autonome qui continuerait à extasier même en se passant de commentaires.

On plaint les dépêchés sur le tapis rouge, envoyés par les chaînes de télévision, contraints de meubler l’antenne avec ce qui s’appelle bon an mal an du vent ! D’autant que depuis quelques années, un speaker est présent en haut des marches lors des projections officielles pour égrener les noms des stars en présence, à la façon d’un animateur présentant les articles soldés aux chalands du Super U. On a connu plus glamour. Le fond sonore, qu’on croirait calqué sur une playlist NRJ, n’aide en rien…

Heureusement pour la presse, un format se plie particulièrement bien aux exigences d'un lectorat tout aussi volatil : le fameux tableau des étoiles, où un panel de journalistes voit ses goûts et dégoûts sommairement synthétisés - par des étoiles donc, ou par une palme - comme c'est le cas à la fin des éditions quotidiennes distribuées gratuitement sur la Croisette (Le film français, Technikart Super Cannes).

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Calmos, newsletter ciné portant le nom du (tout aussi fameux) film de Bertrand Blier, a décliné le concept avec des emojis : une novlangue universelle que les festivaliers du monde entier, entre deux verres de rosé et un coup de soleil sur le nez, peuvent comprendre.

Et pour ceux qui seraient déjà nostalgiques de la quinzaine cannoise, revivez trois jours en immersion sur la Croisette avec notre best-of Snapchat :