Par Gautier Roos, France Télévisions, Direction de la Prospective
Un état des lieux exhaustif des médias d'info aux Etats-Unis : le Pew Research Center vient de publier la première partie de son rapport annuel très attendu sur les grandes tendances à l'oeuvre dans le monde de l'info.
De précieuses informations qui nous renseignent à la fois sur la consommation informationnelle des foyers américains et sur le modèle économique d’éditeurs en quête de salut. Le document dessine des tendances de fond et souligne les priorités des médias d’info, condamnés à se réinventer sur le web sans pour autant négliger l’héritage, souvent prestigieux, du print.
En s’inscrivant sur le temps long - les graphiques comparent les évolutions depuis les années 1960 - le rapport, qui sera par ailleurs alimenté régulièrement au cours de l’année, dévoile ainsi les grandes stratégies éditoriales des principaux acteurs de l’info outre-Atlantique.
Et le premier enseignement qu’on peut en tirer, c’est que malgré un marché qui s’oriente de plus en plus vers un modèle par abonnement, l’année fut loin d’être bonne pour les quotidiens : la diffusion et les revenus de la presse quotidienne ont baissé de concert.
Le déclin entamé dans les années 1990 se poursuit en ce qui concerne la vente des quotidiens américains, comme le montre ce graphique qui a l’avantage de combiner les données sur le print et le digital. On observe une baisse inquiétante, quoique prévisible, de 8% entre 2015 et 2016. Sans grande surprise, c’est principalement dans le print que cette dégringolade s’exprime (-10%), là où la fréquentation en ligne est un peu plus compliquée à évaluer. Le graph ne prend en effet pas en compte les récents succès numériques du New York Times, du Washington Post, et du Wall Street Journal, ces titres n’ayant pas reporté exhaustivement le nombre de leurs abonnés en ligne à l’AAM, l’Alliance for Audited Media (s’ils l’avaient fait, le Pew estime que la baisse de circulation s’établirait à -4% seulement).
Reste que pour les éditions du lundi au vendredi, il s'agit de la 28ème année consécutive de décote. Autre exemple parlant : en un quart de siècle, le nombre d’exemplaires de journaux quotidiens vendus en semaine a connu une baisse supérieure à 40%. Presque un changement de civilisation !
Si l’on scrute le nombre de visiteurs uniques mensuels pour les 50 quotidiens en ligne les plus fréquentés, on observe des chiffres dans la continuité des années précédentes : fin 2016, ce nombre s’élevait à 11,7 millions en moyenne. Une hausse de 21% sur l’année, ce qui souligne le virage numérique réussi par bon nombre d’éditeurs, qui semblent avoir trouvé la formule pour assurer la fréquentation (à défaut d'une monétisation satisfaisante). Sur ce même échantillon de médias, notre durée moyenne de visite diminue elle sensiblement (nous y consacrons en moyenne un peu moins de 2 minutes 30) :
Autre enseignement important à relever dans cette minutieuse étude : les quotidiens font le choix de dépendre de moins en moins des annonceurs, et voient leurs revenus liés à la publicité plonger depuis 2010 :
Un changement de cap qui s’est opéré très rapidement : d’un montant global avoisinant les 50 milliards de dollars en 2005, la publicité ne pèse plus que 18 milliards dans l’ensemble des recettes en 2016. Cela reste plus que le niveau, assez stable, des revenus générés par la diffusion (10 milliards de dollars). Et cela veut surtout dire que le basculement vers un modèle par abonnement (“subscription-first model”) faisant fi de la publicité, s’il s’avère peut-être viable pour quelques éditeurs trustant le haut du pavé, ne permet pour l’instant pas de compenser les pertes publicitaires à l’échelle nationale.
Le document pointe par ailleurs que le digital représente 29% des rentrées publicitaires des journaux quotidiens en 2016, une progression qui paraît bien maigre puisque le chiffre avoisinait déjà les 17% en 2011…
La structure économique des entreprises traduit bien évidemment les difficultés relatives à l’industrie des journaux américains : en 2015, seuls 41 400 personnes travaillent au sein d’une rédaction (reporters comme rédacteurs). C’est 4% de moins que l’année précédente, mais surtout 37% de moins qu’en 2004, où ils étaient 65 440 !
Pour la télévision câblée en revanche, les résultats sont inespérés, l’élection de Trump ayant confirmé la place de choix qu’occupe ce média au sein des moyens d’informations des Américains. Sur CNN, Fox News et MSNBC, la moyenne du nombre de spectateurs réunis devant leur poste en prime-time a brutalement augmenté, s'établissant à 4,8 millions : une hausse de 55% depuis 2015 ! En journée, c’est-à-dire avant 18 heures, la progression se fait elle aussi sentir, bien que moins impressionnante (+36%).
Un paradigme nouveau (ou un revival, on ne sait plus trop), dans lequel c’est désormais la télévision qui embauche et élargit la taille de ses rédactions : les trois plus importantes chaînes câblées ont ainsi vu leurs dépenses consacrées à cet effet grimper de 9% sur l’année.
Des chiffres surprenants qui confirment en tout cas une chose : Donald Trump reste le meilleur allié des chaînes de TV, poursuivant sans forcément le vouloir l’empire bâti il y a des décennies. Mais qu’en sera-t-il l’an prochain, une fois le soufflé présidentiel retombé ?