Entre crise de confiance et perte de repères, l’intérêt pour l’information est au plus bas
Par Barbara Chazelle, France Télévisions, MediaLab et Prospective
Pour la première fois dans le monde, les médias sont l’institution envers laquelle le public accorde le moins sa confiance, selon le baromètre Edelman 2018*. La défiance vis-à-vis des médias n’est pas nouvelle, mais elle est accentuée par le discrédit récent des plateformes, notamment les moteurs de recherche et les médias sociaux.
Crise de confiance, mais aussi perte de repères face à la montée des fake news. Les médias n’arrivent pas à répondre aux attentes du public… ce qui conduit finalement au désintérêt pour l’information, qui atteint en France son plus haut niveau depuis 1987 selon le baromètre Kantar Sofres pour La Croix paru aujourd’hui**. Effet boule de neige, ce manque de confiance dans les moyens d’information fait aussi chuter la confiance envers les autres institutions, les dirigeants politiques et le monde des affaires principalement.
Crise de confiance historique pour les médias à l’échelle mondiale
La majorité des personnes sondées par Edelman sont dubitatives quant aux réelles motivations des médias. Elles considèrent que les médias favorisent :
- la promesse de larges audiences plutôt que de rendre compte d’une histoire (66%),
- les breaking news plutôt que de communiquer une information avec précision (65%).
- une idéologie ou une prise de position politique plutôt que d’informer réellement le public (59%)
De plus, près d’une personne interrogée sur deux considèrent les médias comme élitistes.
Ces doutes ont eu un impact dramatique sur la confiance dans les médias dans leur ensemble. Dans 22 pays sur 28, les médias ont perdu la confiance de la population.
En France, la perception de l’indépendance des journalistes est pour le moins inquiétante selon le baromètre Kantar / La Croix : 68% des français estiment que les journalistes ne résistent pas aux pressions des partis politiques et du pouvoir et 62% aux pressions de l’argent.
Regain de confiance pour les médias traditionnels face à Internet
Le baromètre Edelman met en lumière une certaine confusion quant au terme “média” qui est devenu un mélange entre le contenu et les plateformes.
Parler de « confiance dans les médias » est donc probablement trop vague. Le baromètre Edelman montre que la confiance dans le journalisme a augmenté de 5 points en 2018 (59%) alors que celle dans les plateformes a chuté de 2 points. L’écart n’a jamais été aussi important.
Même constat pour Kantar / La Croix où l’on constate en France un regain de crédibilité pour les médias traditionnels. La hiérarchie des médias perçus comme les plus fiables reste inchangée depuis 30 ans : la radio (56% de crédibilité ; +4 points) puis la presse (52% ; +7 points). Quant à la télévision, toujours moins d’un français sur deux (48%) pensent que ce qu’on leur raconte est crédible mais le petit écran est néanmoins en forte progression cette année (+7 points).
Sur le taux de crédibilité à la hausse, Arnaud Mercier, professeur à l’Institut Français de Presse commente : » Il n’y a pas eu de dérapage majeur dans les médias en 2017 (comme il y a pu en avoir sur le traitement de la guerre du Golfe par exemple). Tout cela reste fragile. S’il y avait un dérapage en 2018, nous risquerions de retomber au plus bas. »
Quant à Internet, le taux de confiance continue de chuter (25%, -1 point) pour la deuxième année consécutive. Rappelons qu’en 2015, 39% de la population lui accordait sa confiance.
Les jeunes (moins de 35 ans) quant à eux, n’ont pas confiance en grand-chose… Seule la radio atteint 55% de crédibilité. On arrive tout juste à 50% pour la presse. Quant à la télévision, 59% des 18-24 ans estiment que ce qu’on leur raconte n’est probablement pas conforme aux faits. Enfin, 66% des moins de 35 ans n’ont pas confiance dans les informations lues sur internet.
Selon le baromètre Edelman, nous accordons désormais moins notre confiance à nos pairs, aux « gens comme nous » (54% soit -6 points). Cette tendance est confirmée en France par Kantar / La Croix : seules 16% des personnes interrogées ont confiance dans les publications de leurs amis sur les réseaux sociaux vs 38% quand l’information vient d’un site média. La tendance est encore plus accentuée chez les jeunes : 75% des 18-24 ans déclarent ne pas faire confiance aux publications de leurs contacts, mais sont 65% à accorder du crédit à celles des sites d’informations. Notons néanmoins que 37% des sondés (dont 66% des plus âgés et 82% des moins diplômés) se déclarent « sans opinion » lorsqu’on les interroge sur leurs principales sources d’information sur la toile.
Fake news et perte de repères
Selon Edelman, la perte de confiance dans les médias a conduit à une incapacité à identifier la vérité (59%), à avoir confiance dans les dirigeants gouvernementaux (56%) et dans le monde des affaires (42%).
Concernant l’information médiatique, 63% des personnes interrogées déclarent ne pas savoir faire la différence entre du bon journalisme et des rumeurs. 59% pensent qu’il devient de plus en plus difficile de discerner si une information a été produite par une organisation médiatique respectable. Plus alarmant encore, 6 personnes sur 10 dans le monde disent ne pas savoir où se trouve la vérité.
Près de 7 sondés sur 10 sont inquiets de ce que les fake news peuvent être utilisées comme armes.
L’accès à l’information ou le paradoxe des usages
Bien que près de la moitié des personnes interrogées par Edelman affirment de pas avoir confiance dans les plateformes, elles restent un moyen d’accès à l’information important pour deux tiers des sondés dans le monde.
En France, la télévision reste le média d’information privilégié d’accès aux nouvelles (48%), ainsi que pour approfondir à l’information. Les chaînes généralistes précèdent dans ce choix (53%) les chaînes d’information en continu (32%). Notons que depuis 2015, la part de consommation de journaux télévisés est en net recul.
L’usage d’Internet poursuit sa croissance (26%), tiré par les mobiles qui comptent désormais pour 15% de l’accès à l’information. Cet usage est encore plus installé chez les moins de 35 ans (38%), jusqu’à 48% chez les 18-24 ans.
En ligne, la préférence va aux sites ou applications mobile des titres de la presse écrite (28%), dont 47% chez les plus diplômés, puis les réseaux sociaux (18%). Mais ce dernier chiffre relève de clivages importants : premièrement si 41% des personnes interrogées déclarent ne jamais aller sur les réseaux sociaux, 66% des moins de 35 ans y vont quant à elle plusieurs fois par jour. Ainsi, 40% des moins de 35 ans accèdent à l’information via les réseaux sociaux dont 46% des 18-24 ans.
Bien que dotées des meilleurs taux de crédibilité, la radio (17%) et la presse écrite (8%) ferment ce classement des sources d’information.
L’intérêt pour l’actualité au plus bas
En France, l’intérêt pour l’actualité retrouve son plus bas niveau, atteint en 1987. Seuls 62% des personnes interrogées suivent les nouvelles avec grand ou assez grand intérêt (vs 70% en 2016). Si l’on regarde plus en détail, moins d’un jeune sur deux de moins de 35 ans s’intéresse à l’actualité (49%). Même désintérêt chez les non diplômés (48%) ainsi que chez les ouvriers (50%).
Pour Carine Marcé, directrice associée chez Kantar Public, « le faible intérêt pour l’actualité en 2017 est d’autant plus surprenant que c’était une année électorale. Cela n’a pas empêché une nouvelle baisse alors même que la crédibilité des médias traditionnels est un peu remontée. Peut-être un effet des fake news ou tout simplement un effet de saturation face à l’abondance d’actualités politiques… »
De plus, le baromètre français met en lumière un clivage social important dans l’intérêt pour l’information. Certains sujets d’actualité sont restés hors du scope d’une grande partie des sondés, à l’instar de l’enquête des Paradise Papers : 46% des personnes interrogées ne voient pas de quoi il s’agit (dont 62% des ouvriers, 61% des sans-diplômes et 53% des moins de 35 ans). Même constat pour la campagne #balancetonporc sur Twitter.
Au niveau mondial, ce sont 50% des sondés d’Edelman qui affirment interagir avec les médias mainstream moins d’une fois par semaine, et 25% déclarent ne lire aucun média car cela est trop « contrariant ».
La demande du public est pourtant simple et légitime : une information fiable et vérifiée
A l’échelle mondiale s’est développé le sentiment que les médias ne répondent pas aux attentes clés de la société, à savoir être garants d’une information de qualité, éduquer les gens sur des questions importantes et les aider à prendre des décisions ayant un impact positif sur leur vie.
En France, la demande est encore plus simple. Neuf Français sur dix attendent que les médias transmettre « une information fiable et vérifiée ». Seuls 6% des Français attendent un journalisme porteur de solutions, et 2% souhaitent un journalisme affirmant « un choix partisan » selon le baromètre Kantar / La Croix.
Comment redonner des repères ?
Miser sur les experts, les entrepreneurs et la technologie
Parmi les acteurs sur lesquels nous pouvons compter pour redonner confiance à la population selon l’enquête Edelman, il y a les experts (techniques ou universitaires), mais aussi les entrepreneurs. Près de deux tiers des sondés déclarent vouloir voir les chefs d’entreprise mener les politiques de changement plutôt que d’attendre les gouvernements. Au niveau mondial, la technologie est le secteur qui fédère le plus de confiance (75%).
Accélérer sur l’éducation aux médias
Le phénomène des fake news ayant contribué à la crise de confiance actuelle, l’éducation aux médias est plus que nécessaire pour permettre aux citoyens de s’informer de manière éclairée.
Selon le sondage Kantar / La Croix, les Français sont largement favorables à une éducation aux médias (88%) qui permettrait aux élèves de savoir « rechercher sur Internet des informations vérifiées et à repérer les fausses informations ».
Faire preuve de pédagogie journalistique, trouver le bon ton
» Cette crise à l’égard des médias n’est pas neuve, loin de là. A la fin du 19e siècle on parlait déjà d’une crise de confiance dans la presse. C’est même pour cela, que des journalistes se sont réunis en juillet 1918 pour écrire une charte éthique du journalisme. Le déficit de confiance était alors particulièrement grave. Aujourd’hui, nous vivons une différence considérable avec ces crises du passé. A l’époque, on censurait, on cachait, on mentait. Mais le « fait » demeurait une valeur en soi. Désormais, le « fait » est nié. Il n’est plus la balise qui conditionne le journalisme. Cela oblige la profession à un sursaut majeur : faire ce qu’elle n’a jamais fait que sur le mode incantatoire, expliquer son utilité en faisant la pédagogie de la production des faits « préconise Hervé Brusini, directeur du numérique à la Direction de l’Information de France Télévisions.
Quant aux jeunes, les professionnels de l’information vont devoir redoubler d’efforts pour arriver à les adresser :
» Pour parler aux jeunes, les médias doivent se tourner vers des gens qui se mettent à leur niveau, avec le bon ton et sur les sujets qui les intéressent. Les YouTubers font cela très bien, y compris ceux qui se présentent comme ayant un savoir un peu encyclopédique » explique Arnaud Mercier.
Toutes les institutions ont un rôle à jouer : les médias ne peuvent seuls nous faire sortir de cette crise
Pour Richard Edelman, en commentaire du baromètre de son institut d’études:
» Les institutions doivent répondre aux attentes du public de pourvoir à une information factuelle, précise, à propos et rejoindre le débat public. Les médias ne peuvent le faire seuls à cause de contraintes politiques et financières. Chaque institution doit contribuer à l’éducation de la population. » (…) Nous manquons de discours rationnels. Nous observons un désir d’experts, un intérêt pour la connaissance, une vraie quête de crédibilité. C’est aux institutions de combler le vide, particulièrement sur les plateformes sociales, avec de l’information de qualité. Chaque institution doit d’une certaine manière devenir son propre média. Le silence est une taxe sur la vérité. Et nous devons élever nos voix. »
* Le baromètre Edelman a été conduit en ligne dans 28 pays en octobre/novembre 2017
** Le baromètre Kantar / La Croix a été réalisé en France sur un échantillon de 1.000 personnes interrogées face à face en janvier 2018