Médias d'infos US: chute dramatique des reportages, l'audience s'en va

Les coupes claires, menées sans arrêt depuis 10 ans dans les rédactions américaines, sont désormais parfaitement perceptibles, à la fois dans le nombre de reportages produits --en chute libre aux Etats-Unis--, comme dans la désaffection croissante et inquiétante du public pour les médias traditionnels, résume ce matin la 10ème édition annuelle alarmiste de l'Etat des médias américains du Pew Research Center's Project for Excellence in Journalism. 

Une situation qui encourage les dirigeants politiques et économiques à court-circuiter de plus en plus les médias pour s'adresser directement au public.

Effondrement des ressources

Depuis leur heure de gloire en 2000, les rédactions américaines ont ainsi perdu 30% de leurs ressources et emploient moins de 40.000 personnes, soit leur niveau de 1978. 

Dans certaines chaînes de TV locales, le sport, la météo et la circulation routière représentent 40% des bulletins d'informations tandis que la longueur des reportages diminue. Même chez CNN qui s'enorgueillit de proposer des enquêtes approfondies, le nombre de reportages long a chuté de moitié depuis 2007.

Dans les trois grandes chaînes d'info en continu, la couverture des événements en direct a aussi reculé de 30% tandis que les discussions de plateau, qui prennent moins de ressources et peuvent être planifiées, ont progressé de 31%.

Dans le même temps, un nombre croissant de médias, à l'image du magazine Forbes, ont recours à des technologies algorithmiques qui se passent de journalistes pour produire des articles.

Les rédactions désarmées face aux communicants  

Ces éléments factuels s'ajoutent à l'impréparation croissante des rédactions pour faire face aux communicants, poser les bonnes questions et mener l'enquête.    

Les Américains l'ont remarqué : près d'un tiers d'entre eux (31%), selon un sondage publié dans cette étude, ont déserté ces médias traditionnels, estimant qu'ils ne fournissaient plus l'information à laquelle ils étaient habitués. La principale raison est, de loin, leur moindre qualité. 

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En  face, ceux qui veulent faire passer leurs informations et leurs messages sont de plus en plus aguerris aux outils technologiques pour s'adresser directement au public. Ils remarquent qu'ils ont d'ailleurs plus de succès à le faire sans le filtre des médias.

Aux Etats-Unis, ce fut particulièrement visible durant la dernière campagne présidentielle, où les reporters ont davantage joué le rôle de haut-parleurs, des mégaphones que d'enquêteurs, estime une autre analyse du Pew Center, tandis que les deux camps parlaient directement aux électeurs au dessus de leurs têtes.

Mais ce n'est pas cantonné qu'à la politique. Les dirigeants des milieux économiques profitent également de la situation débordée et "sous-staffée" des rédactions qui ont du mal à distinguer l'info du battage. Des faux communiqués de presse sont diffusés par les plus grands médias, certains se font prendre dans des opérations de propagande sophistiquée. Le nombre de journalistes baisse tandis que monte celui des relations publiques.   

Tenter de faire passer son message n'est pas nouveau. Ce qui l'est c'est que les rédactions sont sous-équipées pour le mettre en doute et pour "sortir" des histoires tandis que les communicants sont plus nombreux, mieux équipés et recourent plus que jamais aux nouveaux outils numériques.

 

Profitant du vide ainsi créé, de nouvelles organisations, souvent des ONG financée par des fondations, couvrent des sujets et produisent des contenus jusqu'ici réalisés par des journalistes professionnels. C'est le cas notamment dans l'éducation, la santé et la science avec par exemple Kaiser Health NewsInsidescience.org ou the Food and Environment Reporting Network. Certains grands médias, comme le Washington Post ou NBC publient tel que leurs contenus en les sourçant.

Le Pew a identifié 6 grandes tendances cette année : 

1 Le public a remarqué la chute de qualité de l'information des médias.

31% des Américains ont arrêté de s'y informer. Les hommes en majorité, les gens les plus éduqués et les hauts revenus. Ceux justement qui étaient les plus gros consommateurs d'infos. Le faible niveau d'expertise des journalistes et leur incapacité à creuser les sujets sont cités. Notamment sur la crise financière.

2 Pub : le secteur des médias d'informations perd la bataille des nouveaux formats

Notamment pour les formats numériques qui étaient pourtant prometteurs: le mobile et l'hyper local.

Alors que la pub mobile a fait un bond de 80% l'an dernier. Seules 6 entreprises, dont Facebook et Google, ont pris 72 % d'un marché évalué à 2,6 milliards $. Ne restent qu'aux médias, les bannières. Même tendance pour la publicité locale dopée par la géolocalisation, la personnalisation et la granularité, toutes mieux maîtrisées par les nouveaux géants technologiques. 

3 Forte hausse des formats de contenus sponsorisés

C'est le seul créneau où les médias ont pris un peu d'avance. Il peut prendre la forme de Tweets sponsorisés ou de contenus produits par des marques au sein même des médias. Cette forme de publicité, encore modeste, a connu une progression de 39% l'an dernier à 1,56 milliard $, après une hausse de 56% en 2011.

Des titres comme The Atlantic, Forbes ou des sites comme BuzzFeed et Gawker en sont friands.De grands noms de la presse comme Hearst, Time et Condé Nast y songent, selon le site Pando Daily.

4 La croissance des modèles payants en ligne pourraient avoir un impact significatif

Après des années de débats quasi théologiques sur le paiement sur Internet, 450 quotidiens sur 1.380 ont mis en place un mur payant autour de leurs contenus ou ont annoncé leur intention dans ce sens, adoptant le plus souvent le modèle de paiement freemium au compteur. Ces initiatives doivent servir à pallier la très faible progression des revenus publicitaires en ligne : 3% par an pour les journaux US. Ce qui amène certains titres, comme le New York Times à voir leur diffusion l'emporter pour la première fois sur la publicité. Reste un troisième source de revenus tiers à trouver et surtout à proposer des valeurs ajoutées spécifiques à chaque titre.

5 Après les journaux, c'est le tour de la télévision

Et d'abord des télés locales. Toutes ont vu leur audience chuter sur tous les segments et horaires. Jusqu'ici, source principale d'informations des Américains, leur impact recule considérablement auprès des jeunes. L'audience régulière des moins de 30 ans a ainsi chuté pour passer de 42% en 2006 à 28% en 2012. Pire: les segments les plus regardés (météo et breaking news, voire circulation) sont de plus en plus remplacés par des sites spécialisés, souvent adaptés à la mobilité.

Résultat: les revenus des stations locales dédiées à l'info ont diminué de plus d'un tiers (36%) depuis 2006.

6 L'accès à l'information passe de plus en plus par les cercles familiaux, sociaux et le bouche à oreille

Une majorité d'Américains recherchent une info après en avoir entendu parler par un proche, y compris sur les réseaux sociaux, en tête-à-tête ou par téléphone. Un quart des jeunes de 18 à 29 ans en font leur source principale d'informations. Enfin, la pratique croissante du second écran lors d'infos importantes favorise leur partage et leur propagation électroniques.

Mais pour l'instant, les médias traditionnels restent en tête.

Economics-Key-Findings

Mon compte-rendu de l'édition 2012 de l'étude.