Le piratage a au moins deux mérites : il anticipe sur les nouvelles manières de consommer l’image animée, forçant les professionnels à innover pour répondre aux besoins, et il montre que la culture a un vrai poids économique, encourageant les autorités à agir.
Sur ces sujets, l’Asie est en pointe. Elle a la plus grande population numérique du monde, et donc de pirates, et elle installe très vite la fibre partout.
A Hong Kong, cette semaine, l’industrie régionale de la télévision connectée, les opérateurs de télécommunications et les diffuseurs ont montré que l’appétit insatiable du public pour la vidéo, comblé par l’extraordinaire essor du très haut débit internet fixe et mobile, allait leur compliquer la vie.
L’expérience TV change : les consommateurs veulent plus et mieux. L’OTT va gagner !
C’est confirmé : c’est bien la vidéo qui tire les nouveaux usages de l’Internet. Demain, ces images animées, dopées aujourd’hui par la fibre et la 4G, seront proposées en ultra haute définition (4K et plus), préviennent les dirigeants des telcos d’Asie, réunis pour la 9ème conférence annuelle « BroadBand & TV Connect Asia ».
Or, « en matière de demande pour ces contenus, c’est le pirate qui montre le chemin », prévient Jay Maroo, DG de la maison de production indienne Shemaroo Entertainment (musique et Bollywood). « Le piratage n’est pas seulement une question de prix ou de gratuité, mais aussi de disponibilité des contenus, de quantité, de commodité d’accès, d’infos légales (…) Ces pirates font aussi du business, il faut donc les battre avec les armes business, associées aux armes juridiques ».
« De toute façon, les gens finiront toujours par trouver le contenu qu’ils veulent trouver », résume Siresh Sidhu, dg de l’opérateur malaisien Celcom Axiata. « A Hong Kong, la demande est énorme : 60% des passagers du métro regardent de la vidéo sur leurs mobiles », précise la firme ChinaCache. Y compris en marchant ! J’en témoigne.
Le public sait de plus en plus gérer ses besoins numériques. Qui sont simples : regarder des vidéos sur n’importe quel écran, n’importe quand, n’importe où ; pouvoir les enregistrer, les partager et interagir avec elles.
Il sait aussi que tout ceci est possible via un canal de diffusion unique : l’Internet public, où la qualité de visionnage, grâce au très haut débit, est désormais quasi-parfaite. Ce qu’on appelle l’OTT (Over The Top), qui court-circuite -- à la demande comme en streaming -- les services gérés des opérateurs (TV sur IP), mais aussi les groupes de TV, qui ne contrôlent plus ces contenus arrivant sur tous les terminaux, y compris sur le téléviseur (connecté). Gratuits avec pubs ou par abonnements pour le premium, les grands acteurs de l’OTT sont connus : YouTube, Skype, Netflix, Hulu, TV ou Apple TV.
La TV de rendez-vous, c’est fini ! (Sauf pour le sport, l’info et quelques grands shows). Mais « les producteurs de contenus ne comprennent toujours pas ces nouvelles exigences du public », estime Jeremy Kung, vice-président de Telekom Malaysia qui a relié près d’un million de foyers à la fibre en deux ans.
Piratage : Hollywood change son angle d’attaque. It’s the economy, stupid !
Hollywood va encore raccourcir la chronologie des médias
La puissante Motion Pictures Association (MPAA), qui représente les grands studios américains, « est en train de réduire la durée des fenêtres de durée d’exploitation des films par plateformes et va accélérer cette tendance. Il faut aller plus vite », annonce son représentant juridique en Asie, Matthew Cheetham, basé à Singapour.
L’opérateur chinois de TV payante BesTV conseille aux studios d’Hollywood d’aller plus loin et de fermer la fenêtre d’exploitation des DVD, trop facilement disponibles illégalement quelques jours après la sortie des films aux USA, pour viser directement les TV payantes. « Ca leur a pris 5 ans à comprendre, mais ils y viennent ».
« Il faut que l’offre légale soit assez attractive pour empêcher le public d’aller acheter une mauvaise copie de DVD pirate en bas de chez lui », prévient BesTV, opérateur de TV payante en Chine.
En Asie, le piratage est un phénomène important, qui touche aussi les productions régionales. "En Inde, on dit que +copyright+ signifie le droit de copier", s’amuse un délégué.
Les sites de piratage vidéo sont souvent dans les 10 premiers sur Alexa (mesure d’audience Web), alors ceux des diffuseurs légaux n’arrivent qu’après la centième place. Une poignée de 40 à 50 sites y font 80 à 90% du piratage.
C’est pourquoi Hollywood a décidé de changer son fusil d’épaule : la Motion Pictures Association qui a longtemps bataillé sur les aspects juridiques, «préfère désormais mettre l’accent sur la contribution du divertissement à l’économie, la création d‘emplois, la créativité et la culture », indique Cheetham.
La pression est donc sur les gouvernements pour qu’ils changent les lois. Les opérateurs ne veulent pas bloquer les sites car leurs clients changeront de FAI et les plateformes vidéos sont lentes à réagir ou s’en lavent les mains : « c’est aux studios de régler cela, nous ne sommes que distributeurs », estime Hulu Japan.
La Corée du Sud et la France, bons élèves !
Pour la Motion Pictures, l’Amérique ne montre pas le bon exemple. « C’est la Corée du Sud, a changé 27 fois de lois sur le droits d’auteur en 27 ans, et la France qui font le plus dans le monde pour la promotion et la protection de leur culture, puis la Nouvelle Zélande ».
Reste les armes classiques : blocage de site et géolocalisation, mais elles ne sont pas utilisés partout, notamment à Hong Kong et en Chine.
Les telcos forcés de se mettre à l’OTT : collaboration réseau managé (IP TV) et Internet public
Confrontés à la banalisation du marché de l’accès et à l’effondrement de leurs services historiques, les opérateurs répondent par les contenus et deviennent des médias en multipliant les offres TV via des accords avec de multiples fournisseurs. La vidéo fait vendre ! Des smartphones, des tablettes, des données.
Craignant encore pour leur réputation, certains résistent à proposer en parallèle des offres OTT : la qualité reste médiocre, disent-ils. La bande passante imprévisible, le réseau peu sûr et l’intégration dans d’autres services inexistante. Ils comptent sur une contextualisation jugée suffisante: fiabilité et sécurité de l’acheminement, meilleure résolution, absence de buffering, présence de sous-titrage…
D’autres au contraire y vont vite ! Soucieux de ne pas répéter les erreurs de l’industrie de la musique, ils se mettent à promouvoir en parallèle des offres OTT légales, peu chères. Notamment parce qu’ils voient arriver les détenteurs de droits devenir eux-mêmes des diffuseurs. Personne ne sait combien de temps la NBA ou la Première League britannique résisteront à la tentation !
« L’OTT est inévitable », assure l’opérateur de TV payante VASC au Vietnam qui connaît la croissance la plus forte de la région. Pour un opérateur saoudien qui offre l’IP TV et YouTube à ses clients, « il n’y a pas de concurrence entre l’OTT et la TV sur IP si vous utilisez les deux. Soyez à la pointe des contenus et vous garderez vos clients ».
L’opérateur malaisien Celcom Axiata (2ème opérateur du pays) va aussi bientôt compléter son offre par des services OTT. Le « buffering » ? Réglé par de nouveaux moyens d’encodage et le streaming adaptatif ! Le piratage ? Réduit par de nouvelles lois et leur application.
Tout comme le vietnamien VASC : l’IPTv pour le multicast, l’OTT pour l’unicast. « Dans quelques années, on ne verra plus la différence ».
En Chine, l’opérateur privé de TV, BesTV, coté à Shanghai, sert ses millions d’abonnés en IP TV, TV mobile, Smart TV (sans box), OTT, et via le web (250 millions de v.u.). La puissante chaîne publique CCTV est aussi, dit-on, sur les rangs.
A Taiwan, le plus grand opérateur de TV payante, Chunghwa Telecom propose du « MOD », du multimédia à la demande via le cloud et une box dotée de l’OS Android : 153 chaînes de TV linéaires, un guide électronique des programmes, une fonction de remise au début des émissions, catch-up TV, de la VOD et SVOD (10.000 heures de séries et films), et de applications interactives (Karaoke à la demande, musique, horoscopes, santé, info-trafic, …) et sociales (partage sur Facebook). Les plus gros potentiels de revenus sont vus dans les contenus premium, le télé-achat, la personnalisation de l’expérience multimédia sur tous les écrans.
En Chine, les opérateurs réclament à l’Etat une taxe sur l’OTT mais s’y mettent aussi ! « Souvent un smart phone est plus performant qu’une set-up box ! », reconnaît le DG de l’opérateur d’IPTV BesTV.
L’équipementier chinois ZTE exporte même ses services low cost OTT pour la TV live vers l’Indonésie et la Bulgarie. Pour l’instant, il estime que ce service est plus adapté au second écran.
L’OTT a aussi de gros avantages : il permet d’en savoir immédiatement beaucoup plus sur les comportements et les goûts de l’audience sans devoir attendre les conclusions de Nielsen. Mais les annonceurs risquent de prendre peur devant les vrais chiffres, ironise un opérateur chinois.
En tous cas, la recommandation de contenus, à la Netflix, est en train d’arriver en Asie.
Les opérateurs forcés aussi de se diversifier très vite, la TV n’est plus l’unique source
Les opérateurs rêvent en fait de pouvoir proposer des plateformes semi fermées d’applis et de services triés, choisis et gérés par leur soin. (Ca s’appelle un Appstore !)
A chacun son nuage !
En Corée du Sud, l’opérateur historique, Korean Telecom, qui se bat autant contre les pure players de l’OTT que contre Samsung, met ces nouveaux services sous l’appellation « biens virtuels » sans frontières.
A Hong Kong, HKT propose à ses abonnés le nuage personnel « Uhub » pour leur musique, photos vidéos, documents, plus de 100 fois plus rapide que Dropbox. Un autre opérateur, CSL, a lancé il y a peu un service identique, « My Room »
Tous se re-déploient vers le monde des applications et des services liées à la maison intelligente (applis de confort, chauffage, climatisation…), bien sûr aux jeux, mais aussi à la santé (capteurs) et surtout aujourd’hui à l’éducation(à Hong Kong : écoles reliées à la fibre, tablettes, liseuses, tableaux interactifs connectés pour les classes…).
Le nouvel opérateur malaisien YTL, qui ne propose que de la 4G, entend faire profiter l’école publique d’innovations liés à l’éducation connectée, via le cloud, en passant des accords avec des MOOCs (comme la Khan Academy américaine) et avec .
« Les contenus de qualité viennent de plusieurs sources désormais et ne sont plus limités à ceux de la télévision (….) L’avenir appartient à ceux qui ont compris la puissance d’Internet et du cloud », résume son dynamique président Wing Lee.
Les médias entendent profiter de ces vitesses extraordinaires de connexion, de la personnalisation et de l’internationalisation
En Asie, comme ailleurs, les contenus plébiscités sont les films d’Hollywood, les séries, le sport (Basket US, foot anglais), l’info et l’éducation.
En Inde, Shemaroo, un des plus grands producteur de contenus de musique et de films de Bollywood sur toutes plateformes, revendique la diffusion OTT : plus facile d’accès pour tous (créateurs et public), plus interactive, plus internationale. Shemaroo imitera pour cela une firme coréenne qui « crowd source » ses sous-titrages de films en les exportant en Amérique Latine. « 25% de nos visiteurs YouTube viennent de pays qui ne parlent pas hindi ».
D’autres n’ont pas besoin de sous-titrage : Gangnam Style et ses 1,5 milliard de vues ! « Nous allons tout droit vers un nombre de téléchargements de 3 ou 4 milliards pour certains contenus vidéos d’ici quelques années », estime Korean Telekom.
Celestial Tiger Entertainment (j/v des studios LionsGate d’Hollywood et d’Astro, 1er opérateur de TV payante en Asie du sud-est) utilise à fond le nouveau canal OTT : SuperModelMe, un de ses shows produits à Singapour, est développée différemment selon les supports et les plateformes : épisodes de 30 mn en TV gratuite, une heure en IP TV, mobisodes sur mobile et internet, catch-up sur le portail MSN, présence sur les réseaux sociaux, YouTube. Foursquare. Même le scénario varie en fonction des terminaux !
Hulu, qui utilise le streaming adaptatif, se dit en mesure de proposer un ciblage très personnalisé --- donc plus cher-- aux annonceurs : la femme de 35 ans qui gagne tant, vit Chicago et aime les BMW, par exemple. Au Japon, 1er initiative hors SA pour cette plateforme conjointe de NBC/Universal, ABC et Fox, s’en tient pour l’instant à la SVOD pour 10$/mois.
Que feront les groupes de TV ?
« Si la BBC venait à Hong Kong avec seulement son iPlayer (OTT), ils ne parviendraient jamais aux chiffres que nous obtenons pour eux », estime dit l’opérateur PCCW qui reconnaît aussi favoriser la VOD sur le direct TV.
A voir et à suivre.
L’exemple vient aussi d’Asie ! Puissantes initiatives locales à imiter !
L’Australie (3 opérateurs pour 23 millions d’habitants) compte relier chaque foyer à Internet par la fibre optique, avec à la clé une connexion Internet à 100 mégabits par seconde pour tous d’ici 2021 !
L’Etat met les moyens pour sa « révolution du très haut débit » : 40 milliards $. Près de 70% des habitants y sont équipés de smart phones (moins de 50% en France) et les deux tiers de la population auront accès 4G dès juin prochain ! Deux millions d’abonnés profitent déjà de connexions à 40 mégas par seconde.
L’opérateur historique Telstra propose la voix en haute définition (pour appeler depuis un pub bruyant!) et commence à équiper les grandes enceintes sportives de réseaux spéciaux dédiés pour soutenir le trafic des portables.
Qui dit mieux en France ? Je ne vois pas….
En Corée du Sud, 95% des habitants sont reliés par la fibre à Internet, 99% ont un accès mobile 4G/LTE !
A Hong Kong, l’opérateur HKT est en mesure d’installer la fibre en 4 jours chez les particuliers. La couverture 4G est déjà proche d’atteindre celle de la 3G. Il est en train d’installer la wi-fi dans les trains et le métro. Et il n’y a plus d’abonnés 2G ! Un autre opérateur, Chunghwa Telekom continue la course au très haut débit et offre déjà 50 mégas.
En Malaisie, l’opérateur YTL a installé la wi-fi dans la ligne de bus qui relie Kuala Lumpur à Singapour.
En Chine, près de 100 millions d’habitants avaient déjà la fibre fin 2012. L’équipementier chinois ZTE déploie depuis l’an dernier des services de connexions internet à 100 gigas. Il pense que les besoins seront de 400 gigas en 2015 et vise 1 téra en 2020. Des tests prometteurs ont été réalisés avec Deutsche Telekom.
Une dernière chose : tous les délégués de cette conférence disaient avoir sur eux au moins deux objets mobiles connectés. Et trouvaient ça normal.
Ca va vite, très vite….