Billet invité originellement publié par Brice Andlauer pour le Social Media Club
Pour les acteurs de la social data, la bonne dénomination d’un métier est essentielle tant pour le recrutement que pour la relation avec le client. Et pour cause, il s'agit de métiers hybrides qui nécessitent des compétences à la fois en code et en analyse, mais aussi en communication et même en sciences politiques. Or on observe un déficit de ce type de profils hybrides. L’émergence de ces nouveaux métiers nécessite donc une transformation de la formation et de l’organisation des entreprises.
Data analyst, social ads manager, opinion analyst, ou encore social insights analyst … dans les agences publicitaires, les cabinets de conseil, les médias ou les instituts d’étude d’opinion, les termes pour désigner les métiers de la social data s’accumulent. Derrière cette prolifération d’appellations se trouvent de profondes interrogations sur ces nouveaux métiers, encore difficiles à catégoriser et à identifier. L’étude de la donnée sociale pouvant, dans le futur, devenir un travail à part entière, ou au contraire se fondre dans des métiers déjà existant ; les questions liées aux compétences, au recrutement et à la formation se multiplient.
« Il nous est arrivé de changer jusqu’à trois fois le nom d’une annonce sur Linkedin avant de trouver des candidats, » raconte Laurent Michel, directeur Social media à l’agence Insign. « Toutes ces appellations sont amenées à changer. C’est difficile à harmoniser car chaque agence a sa spécificité. La façon dont on nomme nos métiers doit avoir une résonance vis-à-vis de nos clients. On s’adapte beaucoup à leurs besoins et à leurs attentes. En fait, le mot social est déjà dépassé. Je pense qu’on va revenir à des termes comme digital data ou digital analyst, » analyse Laurent Michel (Insign). Si les termes diffèrent pour désigner les personnes travaillant avec la Social Data, c’est aussi parce qu’aujourd’hui les métiers ne sont pas tout à fait les mêmes d’un secteur à l’autre. Dans les agences média, il faut par exemple créer des contenus en lien avec les comportements du public. « Aujourd’hui, on nous demande d’aller beaucoup plus loin dans le social listening. On doit matérialiser des scénarios de retargeting en fonction du parcours de l’internaute et de l’interaction qu’il a eu avec le contenu, » explique Jérémy Campy, directeur général d’Adpulse. Pour proposer ces scénarios, obtenus à partir de plusieurs équations dans des outils de social listening, Adpulse doit faire appel à une agence annexe, complémentaire de son activité de brand content.
Dans les études d’opinion, si les outils utilisés sont similaires, leur utilisation est différente. « Quand je suis arrivé, on me demandait de recruter des audience managers, ce qui ne correspondait à aucun profil existant. Nous avons finalement opté pour le terme d’opinion analyst, » raconte Justin Poncet, directeur Data intelligence chez Angie, dont une partie du travail consiste à cartographier l’opinion afin d’identifier des communautés. « On part du principe qu’il n’y a plus d’internaute en tant qu’individu, mais que chacun est partie prenante de quelque chose. Dans cette vision de l’opinion émergent des communautés, ce qui permet de faire un targeting média plus fin que dans les stratégies de ciblage classiques, » explique-t-il. Comme l’explique dans une interview aux Échos Damien Liccia, l’un des opinion analyst qui travaille avec Justin Poncet, « nous utilisons des méthodologies de data mining fondées sur le code, la statistique, le langage informatique R et les dernières avancées de la recherche en science politique… mais rien n’oblige à être issu d’une formation scientifique. » Au-delà de la formation aux outils de social listening classiques comme Tracker, Linkfluence ou Radarly, Angie demande en effet à ses opinion analysts de maîtriser des langages de code informatique comme R ou Python. « Dans l’analyse d’opinion, la maîtrise du code est importante pour pouvoir faire de véritables études qualitatives. Aujourd’hui, il n’y a pas d’outil qui nous permet de fournir ce qu’on veut aux clients, » développe Justin Poncet.
Les impératifs varient cependant d’un secteur à un autre. « Nous avons complètement séparé le développement de nos équipes d’étude. Nous ne sommes plus vraiment dans la logique où nous cherchons des gens qui savent coder, même si nous sommes très heureux lorsque quelqu’un a cette compétence, » confie Laurent Michel (Insign). « Lorsqu’on cherche un développeur, ce sera surtout ponctuellement pour de l’écriture de scripts, » poursuit Clément Brygier, fondateur de Digital Insighters.
DES PROFILS HYBRIDES RARES
Si certaines structures séparent totalement le développement de l’analyse, une tendance globale à la recherche de profils hybrides semble se dégager. « J’essaye de pousser l’hybridation le plus possible. Par exemple, nos analyses de controverses peuvent aller jusqu’à proposer des plans d’action en achat média. Notre activité va de l’étude à l’action, j’ai besoin de profils qui entendent tout ça, » explique Justin Poncet (Angie). « Il faut des gens qui maîtrisent à la fois l’analytique, la communication et les outils techniques. Ces trois compétences combinées sont rares, ce sont des profils qui n’existent presque pas, » poursuit-il. « C’est également le genre de profils que l’on cherche, et en général la compétence technique manque un peu, » raconte Lucien de Brot, Head of data analysis chez Burson Marsteller i&e.
« Aujourd’hui, à part dans l’achat de social ads, ce n’est pas la Social Data qui refond des métiers existants, mais plutôt les métiers existants qui englobent la Social Data. » Rémi Douine, fondateur de The Metrics Factory
Dès lors, comment recruter de tels profils ? « Il faut aller chercher des gens qui ont des appétences. Dans les promotions du CELSA ou des Institut d’études politiques, il y a quelques profils d’analystes avec une curiosité très prononcée pour le code et les outils techniques. Ce sont des gens qui se seraient tournés vers les instituts classiques il y a quelques années, » explique Justin Poncet (Angie). « Si quelqu’un suit les 18 / 25 ans depuis longtemps dans sa carrière, je vais deviner qu’il a déjà téléchargé et testé beaucoup d’applications et d’outils. Ce sont des profils OVNI qu’il faut savoir repérer, » poursuit-il. Même tendance à l’agence Insign : « Ce sont des profils de communicants qu’on va former en interne sur des outils techniques. Soit ils ont fait le CELSA dans les filières techniques, soit des écoles de commerce. Dans tous les cas, ils doivent aimer l’analyse et les chiffres, » détaille Laurent Michel. « Comme dans tous les métiers du digital, ce qu’on recherche avant tout c’est de la curiosité. On continue de mettre cette qualité en avant sur nos fiches de postes, » poursuit Anna Oualid, directrice Social Media Research chez Opinion Way, qui confie également miser sur des profils sciences humaines avec des compétences techniques.
Maîtriser les consoles d’engagement, les langages de code informatiques, le SEO … autant de compétences qui apparaissent aujourd’hui indispensables dans les métiers de la Social Data. « C’est aussi très important d’un point de vue commercial. Car cela va me permettre d’expliquer au client ce qu’il est possible de faire ou ne pas faire. Aujourd’hui, on évacue les profils de techniciens purs, car ils vont parfois manquer de recul pour expliquer l’importance de certains choix stratégiques au client, » développe Martial Rousset, consultant social media chez ENOV.
« Nous avons la volonté de transversaliser les profils. À ceux qui viennent nous voir pour faire de la stratégie, on répond : vous aurez les mains dans le cambouis, et vous ferez de la stratégie. » Laurent Michel (Insign)
Pour mieux travailler la Social Data, certains ont au contraire opté pour une stratégie de recrutement inverse. « Il est plus facile d’amener quelqu’un qui a une compétence technique vers un métier de communication, plutôt que de faire venir quelqu’un de la communication vers la technique, » raconte Lucien de Brot (Burson Marsteller i&e). « Chez Getty, nous faisons la distinction entre profil technique et un profil communicant, sachant que l’on peut plus facilement faire communiquer un bon codeur, que de faire coder un bon communicant. Je ne crois pas tellement à l’hybridation totale communicant – codeur : il y en a mais : ils sont rares et chers ! » analyse Christophe Legrand, spécialiste des solutions digitales chez Getty Images.
DES NOUVELLES ORGANISATIONS DES ESPACES DE TRAVAIL
Avec des profils de plus en plus pluridisciplinaires et une Social Data qui s’impose dans des corps de métiers de plus en plus variés, les modèles de répartition des tâches entre les services se voient eux aussi bouleversés. « Nous avons eu deux évolutions culturelles majeures avec l’essor de la Social Data. D’abord, il a fallu passer d’une activité de recherche à une activité de conseil, donc développer des compétences beaucoup plus tournées vers la stratégie. Ensuite, il a fallu intégrer dans nos stratégies et nos process des données beaucoup plus massives. Aujourd’hui, on ne parle plus de Social Data, mais de Data dans lesquelles il y a du social, mélangée avec les données du client, » détaille Céline Grégoire, directrice générale adjointe de Sorgem Advance. Dans les équipes des clients qu’elle accompagne, les data analysts côtoient les researchers « Ils sont dans deux bureaux différents et ne se parlent pas, car ce sont deux cultures différentes. On les accompagne pour désiloter tous ces métiers. C’est un véritable changement culturel, mais qui nous permet aussi de réduire le gâchis de la data, qui se perd encore beaucoup dans les angles morts entre ces différentes compétences, » poursuit-elle.
« Pour que ça marche, il faut de l’humilité : aussi bien de la part du statisticien qui est extrêmement prudent avec les termes et les analyses, que de la part du vendeur qui veut tout vendre peu importe la vérité. Il faut faire évoluer tous les profils, » analyse Lucien De Brot (Burson Marsteller i&e). « Comme tout se passe au même endroit, on ne perd pas de temps à transmettre les dossiers. On veut des gens qui comprennent et maîtrisent toute la verticalité du process. Ça donne plus d’efficacité, mais aussi plus de diversité et de motivation aux équipes, » raconte Laurent Michel (Insign). Dans d’autres structures en revanche, si l’évolution des profils tend vers la pluridisciplinarité, elle ne se traduit pas par une hybridation de l’organisation des services. « Chez Getty Images, on fonctionne beaucoup en spécialités. La Social Data passe par les équipes de data scientists, puis par les insights, puis par le service marketing, et enfin par la production de contenus, » raconte Christophe Legrand.
« Puisqu’on ne trouve pas en externe les profils adéquats, on recrute en sortie d’études tout en sachant qu’il y aura de la formation derrière. Pour qu’ils soient plus compétents, il vaut mieux procéder ainsi, plutôt que de les récupérer après trois ans d’expérience. » Laurent Michel (Insign)
Que ce soit en interne ou dans les études supérieures, la formation semble être l’enjeu clé pour bien travailler avec la Social Data. En France, il n’existe aucune formation qui enseigne les métiers de la Social Data. À tel point qu’aucun cours sur les outils de social listening comme Tracker, Linkfluence ou Radarly n’est donné dans les écoles de commerce ou de communication. « Lorsque j’interviens dans les écoles, je suis obligé de donner mes codes d’accès professionnels à mes étudiants, » raconte Martial Rousset (ENOV). « Dans les formations diplomantes, on trouve peu d’intervenants extérieurs qui viennent parler de ces métiers là. C’est un vrai problème, » poursuit Anna Oualid (Opinion Way). Faut-il donc créer de nouvelles formations ou améliorer celles déjà existantes ? « Des personnes qui ont fait un DUT GIDO (gestion de l’information et du document dans les organisations) puis poursuivi leurs études en IEP, en école de communication ou dans l’intelligence économique ont normalement déjà une curiosité pour la donnée. Dans ce genre de parcours, l’hybridation des profils existe déjà, mais ils n’ont tout simplement pas connaissance des possibilités de carrière qui existent dans les agences. Du coup, ils se tournent plutôt vers le renseignement ou la cyber sécurité, » explique Quentin Liot, formateur chez Digimind, qui a déjà rencontré ce genre de cas de figures. « Quand on regarde les parcours des data scientists, ce sont d’abord des médecins, des biologistes ou des mathématiciens, qui se sont ensuite spécialisés dans l’analyse des bases de données. Peut-être qu’aujourd’hui, la social data est une spécialisation qui manque aux écoles de commerce et de communication, » analyse quant à lui Lucien De Brot (Burson Marsteller i&e).
Les écoles de communication, de commerce ou les IEP formant très peu leurs étudiants au code ou au SEO, l’autoformation devient cruciale pour des nouveaux entrants sur ce marché. Si elle est aujourd’hui souvent assurée en interne par l’employeur, les outils d’autoformation en ligne se multiplient, et peuvent devenir des atouts pour les futurs candidats.