Conseils aux journalistes pour savoir mettre une limite entre le pro et le perso en ligne
Par Cristiana Bedei, journaliste freelance et consultante. Billet invité.
Sourcer un sujet, interagir avec le public, ouvrir des événements en direct, promouvoir ses travaux… L’ère numérique a fourni aux journalistes de nouveaux outils et canaux de travail. Cependant, à mesure que de plus en plus d’activités se font en ligne – en passant par les médias sociaux -, il devient de plus en plus difficile d’établir des limites entre le personnel et le professionnel en public. Ce n’est pas seulement la crédibilité et la réputation qui sont en jeu, mais aussi la protection de la vie privée et la sécurité.
Certains journalistes apprécient les commentaires en ligne et la possibilité d’établir une relation intime avec leurs lecteurs, tandis que d’autres finissent par se sentir surexposés et vulnérables.
Les femmes risquent particulièrement d’être humiliées, d’être intimidées, dégradées, dépréciées ou réduites au silence, comme l’a récemment confirmé un rapport d’Amnesty International. Une étude précédente de l’International Women’s Media Foundation (IWMF) a révélé que près du tiers des femmes journalistes envisagent de quitter la profession en raison d’attaques en ligne.
Source : Rapport « Attacks and Harassment The Impact on Female Journalists and Their Reporting »
Néanmoins, une présence en ligne efficace peut aider à donner de l’écho aux sujets, à créer des liens et à trouver du travail, en particulier pour les pigistes qui ne peuvent pas compter sur le soutien d’une publication établie.
IJNet a échangé avec deux journalistes très actifs en ligne, Anna Codrea-Rado et Dodai Stewart, sur la manière dont elles négocient leurs frontières personnelles. Codrea-Rado est une pigiste qui se concentre sur la technologie et la culture. Elle utilise les médias sociaux uniquement à des fins professionnelles – en injectant des mises à jour avec une bonne dose de personnalité – et a lancé une newsletter hebdomadaire sur la pige/les freelances. Stewart est rédactrice en chef adjointe du New York Times et l’un des éditeurs fondateurs du site pour femmes Jezebel. Elle a fédéré près de 40 000 abonnés sur Twitter, où elle mélange du contenu personnel et professionnel.
Être prudent
Chacun devrait faire attention à ce qu’il partage en ligne. Même des informations personnelles apparemment innocentes pourraient être utilisées à des fins malveillantes.
« Je ne partage pas ma position [au moment où j’y suis]», explique Stewart. » Souvent, je la poste plus tard parce que je sais qu’il est facile de l’utiliser pour tracer des personnes.»
Stewart a été plus harcelée lorsqu’elle a écrit exclusivement sur les femmes chez Jezebel, mais elle agit toujours avec prudence :
« Je suis très rapide pour bloquer et mettre les personnes en sourdine, j’ai mes paramètres qui sont configurés pour que je ne vois que les réponses de [personnes que je suis sur Twitter]. C’est très utile. »
Les filtres avancés de Twitter permettent de paramétrer les notifications
Ne pas oublier les meilleures pratiques du journalisme
Depuis qu’elle écrit beaucoup sur la culture numérique et l’avenir du travail, Codrea-Rado considère que les médias sociaux sont un outil important pour la collecte d’histoires et la recherche de sources.
« Pour une histoire sur laquelle j’ai travaillé récemment, j’ai pris contact avec mes sources via Facebook et Twitter », dit-elle.
Tout comme il existe un bon et un mauvais moyen de contacter des sources, les mêmes règles s’appliquent lors de la mise en contact avec des internautes, explique-t-elle. Présentez-vous, votre histoire et votre point de vue de la même manière que dans tout autre contexte, comme si vous rencontriez quelqu’un en personne pour la première fois.
Il ne s’agit pas que de marketing
« Je trouve que Twitter est vraiment amusant et j’ai beaucoup de followers. Cela peut donc m’être utile de différentes manières : je peux faire des sondages informels ou diffuser des histoires qui m’intéressent ou sur lesquelles j’ai travaillé. Cela peut être un bon outil pour amplifier mon travail », déclare Stewart. Mais elle n’oublie pas de s’amuser, avec des posts plus décontractés : « L’astuce, c’est la diversité de ce que je publie ».
Pour les journalistes indépendants, il est important de maintenir une présence visible en ligne, explique Codrea-Rado. « Pour parler franchement, cela fait partie de la façon dont vous vous vendez. »
Cependant, le média social a un potentiel allant au-delà de l’auto-promotion. Il peut être utilisé comme un lieu de connexion avec des collègues indépendants et un réseau dans ce qui pourrait autrement être un « travail solitaire », comme le dit Codrea-Rado.
« J’ai tendance à promouvoir toutes les histoires que j’écris (y compris le brand content), mais je ne fais pas que les diffuser sur les médias sociaux. J’échange également avec d’autres personnes et utilise les platesformes principalement comme moyen de dialoguer avec des gens, [notamment] des sources ou des membres de la communauté freelance.»
Prendre des mesures contre les abus
Codrea-Rado avertit que la violence et les abus ne doivent jamais être tolérés et qu’ils ne doivent pas être acceptés comme « faisant partie du travail ».
« Si vous avez été victime d’abus à la suite d’une histoire ou d’un reportage, transmettez ces messages à votre éditeur », dit-elle.
Stewart convient que le signalement des menaces et du harcèlement est essentiel. Il existe des outils disponibles sur les sites Web et les platesformes de médias sociaux à utiliser dans ces circonstances.
Billet invité originellement publié en Anglais sur IJNET. Il vous est présenté dans le cadre d’un partenariat éditorial entre IJNet et Méta-Media. © [2018] Tous droits réservés.
Crédit photo de Une :Tim Bennett via Unsplash