Par Barbara Chazelle, France Télévisions, Prospective et MediaLab
Si les médias d’information connaissent une crise de confiance importante, à l’instar des autres institutions par ailleurs, sa relation avec les citoyens a atteint un niveau de violence rare ces dernières semaines. C’est dans ce contexte que Kantar Sofres pour La Croix publie aujourd’hui son baromètre annuel sur « la confiance des Français dans les médias ». Si l’actualité connaît un regain d'intérêt, la défiance envers les journalistes reste importante et la crédibilité des médias est à son plus bas niveau. Les Français sont peu satisfaits du traitement des sujets marquants mais point positif, considèrent les journalistes comme le premier rempart contre les fausses nouvelles.
Les médias ont trop parlé de certains sujets et pas assez d'autres
2018 a été riche en événements marquants qui ont alimenté les médias et les discussions sur le réseaux sociaux. Les Français considèrent que les médias ont trop parlé du litige sur l’héritage de Johnny Hallyday (88%), de l’affaire Benalla (60%) et de la victoire de l’équipe de France en finale de la coupe du monde (47%), pas assez parlé de la Marche pour le climat (54%), des révélations sur les affaires de pédophilie dans l’Église catholique (49%) et du vote de la loi sur le harcèlement de rue (43%) mais ont parlé comme il faut de l’attentat terroriste du marché de Noël de Strasbourg (70%, des incendies en Californie (68%) et des commémorations du centenaire de la Première Guerre Mondiale (62%).
Par ailleurs, 50% des personnes interrogées considèrent que le sujet des violences faites aux femmes est mal traité. L’insatisfaction monte à 57% pour le dérèglement climatique et ses conséquences.
Enfin, sur la crise des Gilets Jaunes, plus de la moitié des sondés (51%) trouve la couverture mauvaise, contre 32% de satisfaits. 67% des Français reprochent aux médias une dramatisation des événements, 52% d’avoir trop laissé de places aux points de vue extrêmes et 54% le manque de pédagogie. Point positif : l'effort de diversité dans la prise de parole, avec le sentiment que les médias ont donné la parole à des personnes qu'on ne voit pas d’habitude à la télévision. (79%)
« L'insatisfaction des Français envers les médias n'est pas nouvelle : les échantillons répondants à notre Baromètre reprochent toujours aux médias de ne pas assez parler des sujets graves, sujets qui ne les passionnent d'ailleurs pas quand on regarde les audiences. Mais l'on constate cette année une aggravation circonstancielle liée aux Gilets Jaunes », explique Guillaume Goubert, Directeur de La Croix. « Nous sommes face à un public qui a un regard de plus en plus expert. Les critiques adressées ne sont pas gratuites. Les rédactions se posent les mêmes questions : violence des images, place donnés aux sujets polémiques, équilibre dans la prise de parole... Cette distance critique vis-à-vis de l'information, y compris des fausses nouvelles, est plutôt une bonne chose pour la démocratie. »
Regain d’intérêt pour l’actualité
L’année dernière, l’intérêt pour l’actualité avait atteint son plus bas niveau depuis 1987. Il remonte cette année même si l’on reste en deçà des performances des années 90 et 2000 : 67% des personnes interrogées suivent les nouvelles avec un (grand) intérêt (+5 points).
Cependant, ce chiffre cache quelques disparités. Entre les générations d’abord. Les jeunes s'en fichent. Moins de la moitié des 18-24 ans déclarent porter de l’intérêt à l’actualité (49%) contre 74% pour les plus de 65 ans. Par ailleurs, les moins diplômés ne sont que 51% à s’y intéresser.
À noter que le Baromètre d’Edelman sur la confiance envers les institutions fait le même constat : alors que les citoyens du monde désirent vivement du changement, ils s’intéressent et s’engagent davantage dans l’actualité : à l’échelle mondiale, 40% des personnes interrogées par Edelman consomment non seulement des nouvelles une fois par semaine ou plus, mais ils les amplifient aussi systématiquement en les partageant.
La crédibilité des médias à son plus bas niveau
Radio, presse, télévision, Internet : si le classement des médias perçus comme les plus fiables n’a pas changé depuis 30 ans, leur taux de leur crédibilité atteint de tristes records cette année, malgré le petit sursaut de l’an dernier.
La radio reste le média le plus crédible (50% ; -6 points) suivi de la presse écrite (44% ; -8 points) et de la télévision, le média jugé le mois crédible depuis 2004 (38% ; -10 points).
Ce manque de confiance dans les médias s'explique en partie par la perception de l’indépendance des journalistes : près de 1 Français sur 7 pense que les journalistes ne résistent pas aux pressions des partis politiques et du pouvoir - un nouveau record accablant - et 62 % aux pressions de l’argent.
Très inquiétant, 23% des répondants justifient l’agressivité envers les journalistes pour 32% qui la condamnent.
« On est passé d’une critique des médias à une critique des journalistes, remarque Jean-Marie Charon, sociologue des médias et chercheur associé à l’EHESS. Avant, on critiquait le rapport/le lien avec le pouvoir. Aujourd'hui, c'est le rapport aux élites qui est pointé du doigt. C'est un problème de compétence, certaines classes sociales n'ont pas l'impression de parler d'égal à égal. »
Quant à Internet, un quart des Français lui accorde sa confiance, un taux stable par rapport à l’année dernière. Concernant les réseaux sociaux, seuls 17% des sondés affirment avoir confiance dans les informations postées par un ami. Ce chiffre atteint un peu plus d’un tiers de la population (36%) pour les publications d’un média. À noter que les moins de 35 ans leur font davantage confiance que leurs aînés (49% vs 32% pour les 35 ans et plus).
Défiance que les internautes s’appliquent à eux même : 17% déclarent ne pas partager d’information sur les réseaux sociaux.
Le paradoxe des usages : la télévision, premier média d’accès aux nouvelles
En France, la télévision reste le média d’information privilégié d’accès aux nouvelles (46%), ainsi que pour approfondir à l’information. Les chaînes généralistes précèdent dans ce choix (52%) les chaînes d’information en continu (32%). À noter que l’intérêt pour la télévision a perdu 10 points en 4 ans alors qu’Internet, qui est le 2e moyen de s’informer (29%) connaît une nette progression (+9 points en 3 ans). Les usages en ligne sont tirés par le mobile qui pèse pour 18%, autant que la radio.
Chez les moins de 35 ans, Internet est le premier moyen de suivre l’actualité à 42% et jusqu’à 53% pour les 18-24 ans.
A ce paradoxe, Céline Pigalle, Directrice de la rédaction de BFM, réagit :
« La télé souffre d'un manque de confiance mais reste la principale source d’information. Il faut faire une opportunité de tout cela. Il faut écouter ce qu’on nous dit et adapter nos choix quotidiens. On traversé une crise historique mais cette crise est une chance pour la société et pour les médias de réfléchir profondément sur la manière dont on doit travailler.»
Sur internet, les sites ou applications des titres de presse (28%) ont la primeur suivis des réseaux sociaux (18% mais 47% pour les 18-24 ans), des résultats équivalents à l’année dernière.
Fake news : les journalistes, premier rempart contre les fausses nouvelles
Le phénomène des fake news explique probablement en partie le manque de confiance et d’intérêt pour l’information. En France, 62% des personnes interrogées déclarent avoir été confrontées à “des informations qui déforment la vérité ou sont fausses” plus d’une fois par mois, et près d’1 Français sur 2 une fois par semaine et même plus.
Les moins de 35 ans ont davantage l’impression d’être plus confrontés aux fausses nouvelles (78% vs 57% pour les 35 ans et plus à raison de plus d’une fois par mois)
À ce fléau, trois acteurs devraient pouvoir agir contre la propagation des fausses nouvelles : les journalistes (36%), les régulateurs des médias (34%) et les citoyens eux-mêmes (31%). Le gouvernement ne convainc dans ce rôle qu’un petit quart des Français (23%).
Les enseignants et universitaires sont au bas du classement (respectivement 4% et 2%) : il serait probablement intéressant de s'interroger sur la pertinence de l’éducation aux médias telle qu’elle est délivrée aujourd’hui ainsi que sur les moyens et à la place donnés aux chercheurs sur ces sujets pour arriver à des chiffres aussi faibles.
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