L'avenir du cinéma analysé par des producteurs d'Hollywood et de petits distributeurs

Par Alexandre Bouniol, France Télévisions, MediaLab

Comment les films vont survivre les 10 prochaines années ? C’est la question à laquelle le New York Times a voulu répondre dans un article qui donne la parole à des personnalités d’Hollywood. Quelques jours plus tard, le média Indie Wire pose la même question à des petits distributeurs de films. Les avis divergent forcément. Alors, qui voit au plus juste ? 

La prise de pouvoir du numérique

Moteur, ça tourne ! Et plutôt deux fois qu’une. Jamais l’industrie du film n’avait autant rapporté qu’en 2018. D’après le rapport de la Motion Picture Association of America, l’industrie a généré près de 97 milliards de dollars dans le monde. Le principal facteur de croissance est lié à l’augmentation de 16 % des recettes du visionnage à domicile pour un sous-total atteignant pas moins de 55,7 milliards de dollars dans le monde. Tendance de fond puisque « depuis 2014, les dépenses pour le numérique ont augmenté de 170% dans le monde, alors que celles pour les supports physiques ont diminué de 48% ». Le nombre d’abonnements à des services SVoD a également explosé. En une année, il a progressé de 27% pour un total de 131,2 millions d’abonnements dans le monde.

Le cinéma tient aussi une place – évidemment – prépondérante dans l’industrie du film. Les salles de cinéma ont généré à elles seules plus de 40 milliards d’euros en 2018 dans le monde. La tendance dans le monde est cependant à la baisse (-1%) alors que les recettes ont augmenté de 7% aux États-Unis et au Canada. Étrange paradoxe puisqu’il n’y jamais eu autant d’écrans de cinéma dans le monde : 190 000, soit 7% de plus par rapport à 2017.

Hollywood en proie aux doutes

Hollywood est pleinement conscient de la réalité froide des chiffres évoqués ci-dessus. On sent même une forme de peur s’installer. Le réalisateur J.J. Abrams a déclaré que « les gens avaient pris l’habitude de dire que l’industrie changeait. C’est désormais indéniable. C’est en cours ». Jason Blum, producteur de « Whiplash » et de « Get out », parle même « d’énergie nerveuse qui croit chaque jour ». Ils s’inquiètent de savoir ce qui pourra encore motiver les gens d’aller au cinéma plutôt que de regarder Netflix chez eux. Alors que le producteur de « La La Land », Jordan Horowitz, s’inquiète de ce que vont devenir les films indépendants, le réalisateur Joe Russo confie ses craintes concernant les blockbusters puisqu’il a dû « réaliser ‘Avengers : Endgame’  de manière plus sombre, ce qui n’aurait pas été le cas il y a quelques années ».

Pour inciter les gens à se rendre au cinéma, Nancy Utley, dirigeante chez Fox Searchlight pense qu’il faut accroître la sélectivité des films et donc faire un bond qualitatif majeur des films diffusés au cinéma. L’acteur Kumail Nanjiani est sur la même longueur d’onde, puisque selon lui, un spectateur pardonnera beaucoup plus à Netflix de ne pas aimer un film dans son catalogue qu’au cinéma d’être allé voir un mauvais film.

Tom Rothman, dirigeant chez Sony pense que « dans un monde du tout à la demande, l’élément différenciant est justement l’expérience que procure le cinéma ».

Il insiste notamment sur la notion de « théâtralité » d’un film. Selon lui, les gens feront le déplacement s’ils estiment que le film vaut la peine d’être vu au cinéma. Peu importe le genre, tant que l’expérience attendue est inatteignable chez soi. Le réalisateur Jon M. Chu va même plus loin en percevant le cinéma en tant qu’expérience sociale. Selon lui, le cinéma est difficilement remplaçable avec le fait de partager un film avec des amis, de la famille et des inconnus.

Mais tout le monde n’est pas aussi convaincu par la place sociale qu’occupe le cinéma. Kumail Nanjiani voit dans les jeunes une génération qui ne regarde que YouTube et qui n’a pas de culture cinématographique. Le cinéma n’aurait donc plus une place centrale dans la société. Joe Russo et le producteur Jeffrey Katzenberg, plus nuancés, voient une évolution du type de formats consommés par les jeunes auquel le cinéma doit s’adapter pour continuer de les intéresser, en feuilletonant les films par exemple.

Hollywood "un cinéma" parmi d’autres

Mais Hollywood n’est pas représentatif du cinéma mondial. Simplement sa forme la plus visible. C’est ce que Indie Wire a voulu rappeler en donnant la parole aux petits distributeurs de films, dont les avis n’étaient pas rapportés dans le New York Times.

Ryan Kampe, président de la société de distribution VisitFilms, partage en partie la vision d’Hollywood comme quoi le cinéma actuel ne va pas bien. Surtout pour les « petits films » pour lesquels le modèle classique du cinéma « est cassé ». Dennis Lim, directeur de la programmation à Film at Lincoln Center, rejoint lui aussi l’idée qu’Hollywood est en difficulté. Mais selon lui, l’art en lui-même est à dissocier du modèle économique. Il conclue son intervention par demander « comment une forme d’art pourrait-elle se maintenir ou même prospérer pendant que le modèle économique qui l’encadre s’effondre » ? Même si « le cinéma est beaucoup plus que le cinéma oscarisé et les festivals ».

Eric Hynes, conservateur au Musée de l’image animée, parle d’un Hollywood assez nombriliste. Il existe d’autres types de cinéma qui s’adressent à « des amateurs qui souhaitent regarder des films indépendants ou en 35mm ». Richard Lorber, PDG de Kino Lorber partage entièrement cet avis et invite à « élargir le débat de l’avenir du cinéma aux indépendants ». Selon lui, « il reste une communauté de passionnés soutenant l’expérience en salle de cinéma ».

Ted Mundorff, PDG de Landmark Theatres, pense qu’il s’agit davantage d’un problème conjoncturel que structurel : « depuis toujours nous avons dû traverser des épreuves et nous nous en sommes toujours remis ».

Le marché est suffisamment fort pour résister selon lui. Joana Vicente, directrice exécutive et vice-présidente du Festival International du Film de Toronto et TIFF Bell Lightbox compare l’industrie du film à l’industrie du livre  « que beaucoup déclaraient comme morte alors qu’elle ne s’est jamais aussi bien porté en Amérique du Nord ».

Il faut redynamiser la programmation et créer des conditions d’engagement direct avec les cinéastes selon Rajendra Roy qui est conservateur en chef des films au MOMA. La notion de « communauté » est d’ailleurs peut-être une des clefs du problème. Rachel Jacobson, directrice de cinéma, a en effet mis en place un système de « membership » auprès de sa communauté grâce à laquelle elle tire une partie de ses revenus. Cameron Bailey, co-directeur de TIFF, suggère d’utiliser la data comme Netflix pour connaître les attentes précises des spectateurs.

Photo via FilmStreams.org, fondé par Rachel Jacobson

Le cinéma va-t-il survivre ?

À l’instar de chaque disruption dans un secteur ou une industrie, les comportements des consommateurs changent, de nouveaux acteurs majeurs émergent, les logiques économiques ne sont plus les mêmes et les acteurs traditionnels doutent de leur capacité à faire face à un nouveau changement. Oui, le cinéma tel que nous l’avons connu va nécessairement évoluer. Mais pas pour autant disparaître. La clé pour survivre se situe dans l’innovation. Sous toutes ses formes. Elle englobe à la fois un travail d’écriture pour adapter les narrations aux nouvelles générations, une remise en cause des modèles économiques existants, l’utilisation de nouvelles formes de marketing (notamment avec une meilleure maîtrise des données), trouver de nouveaux marchés ou encore s’appuyer et renforcer les communautés d’amateurs.

Il faut garder en tête que le cinéma est une industrie mouvante depuis sa création. Le cinéma d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier et celui d’hier pas plus que celui d’avant-hier. Il a survécu à la télévision, il survivra à Netflix. Le tout est d’accepter ces changements, s’adapter et ne pas s’attacher à une vieille chimère. Sous peine de « faire une Kodak » : s’arrêter à la pellicule…

 

- Fin -

 

Photo de Une : Ben Breitenstein via Unsplash