Pourquoi les informations satiriques sont parfois prises au sérieux


Billet originellement publié en anglais sur
 The Conversation et republié sur Méta-Media avec autorisation. Version également disponible en français sur The Conversation.

En juillet 2019, le site américain de fact-checking Snopes s’intéressait à un reportage de The Babylon Bee, un site d’information satirique conservateur populaire aux États-Unis.

L’éditorialiste David French du National Review, un journal conservateur, critiquait Snopes pour avoir démystifié une information qui selon lui était une « satire évidente ». Quelques jours plus tard, Fox News consacrait un reportage au PDG de Babylon Bee.

Mais est-ce que tout le monde est à même de reconnaître la satire aussi facilement que David French ?

Nos chercheurs en communication ont étudié pendant des années la désinformation, la satire et les réseaux sociaux. Au cours des derniers mois, nous avons interrogé des Américains sur des dizaines de sujets politiques. Nous avons identifié des dizaines d’informations – réelles et fausses – partagées massivement sur les réseaux sociaux.

Nous avons découvert que bon nombre de fausses informations ne procédaient pas d’une volonté de tromper intentionnellement les lecteurs. Celles-ci provenaient en réalité de sites satiriques.

Comme le site satirique américain The Onion, Le Gorafi propose des articles satiriques – certains que ses lecteurs vont comprendre la blague. Mais ce n’est pas toujours le cas. 

Trompez-moi une fois

Les gens ont longtemps pris la satire pour de l’information réelle. Dans son émission télévisée satirique The Colbert Report, le comédien Stephen Colbert assume le personnage de l’expert conservateur d’une chaîne d’information du câble.

Cependant, des chercheurs ont découvert que beaucoup de conservateurs avaient tendance à mal interpréter les performances de Colbert, pensant qu’elles étaient le reflet de ses convictions politiques personnelles. Les articles de The Onion, un site d’information satirique populaire, sont si souvent mal interprétés qu’une communauté Reddit tourne en ridicule ceux qui se sont fait avoir.

Aujourd’hui plus que jamais, les Américains s’inquiètent de leur capacité à distinguer les informations réelles des Fake news. Pour la plupart des Américains, les Fake news représentent un réel danger pour la démocratie.

Il est parfois facile de repérer la satire, par exemple lorsque The Babylon Bee explique que le Président Donald Trump a nommé Joe Biden à la tête de la Transportation Security Administration, grâce à « sa capacité à se rapprocher de manière inappropriée des gens et à faire des avances physiques indésirables ». Mais d’autres informations sont plus difficiles à évaluer.

Pour exemple, l’affirmation selon laquelle John Bolton aurait décrit l’attaque de deux pétroliers saoudiens comme « une attaque contre tous les Américains » pourrait sembler plausible jusqu’à ce que vous appreniez que l’information est parue dans The Onion.

En réalité, comprendre l’esprit de la satire politique n’est pas chose aisée sur Internet. De nombreux sites satiriques adoptent le ton et l'identité visuelle des vrais sites d’information. Pour saisir qu’il s’agit d’une satire, il faut bien connaître le sujet politique qui en fait l’objet. Il faut également bien maîtriser la rhétorique politique pour pouvoir reconnaître l’exagération. Sans cela, il est assez facile de prendre une satire au premier degré.

Reconnaître une satire lorsqu’on y est confronté

Notre étude sur la désinformation et les réseaux sociaux a duré six mois. Toutes les deux semaines, nous avons identifié les dix fausses informations politiques les plus partagées sur les réseaux sociaux, notamment les informations satiriques. Les autres étaient de fausses informations dont l’objectif était de tromper délibérément les lecteurs.

Nous avons ensuite demandé à un panel représentatif de plus de 800 Américains de nous dire s’ils croyaient à ces informations. À la fin de l’étude, nous avions étudié la réception de plus de 120 fausses informations.

Les articles satiriques tels que ceux publiés sur The Babylon Bee ont souvent fait l’objet de notre étude. En fait, les récits publiés par The Bee figuraient parmi les fausses informations les plus partagées.

Pour chaque information, nous avons demandé : cette information est-elle vraie ? À quel pourcentage en êtes-vous sûr ? Nous avons ensuite étudié la proportion de Démocrates et de Républicains se déclarant être à 100 % sûrs de la véracité de l’information.

Pour le Babylon Bee, voici les tendances :

 

Les membres des deux partis n’ont pas compris que The Babylon Bee était un site satirique, mais les Républicains étaient beaucoup plus à même de le comprendre. Sur les 23 fausses informations publiées par The Bee, huit fausses informations auraient été considérées comme vraies par près de 15 % des répondants républicains.

L’une des Fakes news les plus connues est basée sur une série de fausses citations attribuées au Représentant Ilhan Omar. Un autre article satirique selon lequel le Sénateur Bernie Sanders critiquait le remboursement des prêts étudiants des diplômés du Morehouse College par le milliardaire est une autre Fake news qui n’a pas été détectée par les Républicains.

Notre étude s’est également intéressée à neuf fausses informations issues du site satirique The Onion. Les Démocrates ont été plus souvent bernés, même s’ils n’étaient pas si crédules que ça. Néanmoins, près d’un Démocrate sur huit était convaincu que la Conseillère de la Maison Blanche, Kellyanne Conway, avait mis en doute l’importance de l’état de droit.

Il n’est pas étonnant que, selon l’orientation politique d’un journal, la satire soit plus susceptible de tromper les membres d’un parti politique plutôt qu’un autre. L’orientation politique des individus influe constamment sur leurs perceptions des faits. L’incapacité des Américains à se mettre d’accord sur ce qui est vrai constitue un réel problème pour la démocratie.

Signaler une satire

La vraie question est : comment résoudre ce problème ?

Dans d’autres études récentes, nous avons comparé le degré d’efficacité des différentes méthodes utilisées pour signaler un contenu inexact sur les réseaux sociaux.

Nous avons testé différentes méthodes. L’une d’elles présentait un message d’avertissement indiquant que les fact-checkeurs avaient prouvé l’inexactitude du contenu. Un autre présentait un message indiquant que le contenu provenait d’un site satirique.

Nous avons constaté que le fait de labelliser un article comme « satirique » était particulièrement efficace. Les utilisateurs étaient moins enclins à croire l’information, moins susceptibles de la partager et considéraient la source comme moins crédible. Ceux-ci ont également apprécié l’avertissement.

Facebook a testé cette fonctionnalité il y a quelques années et Google News a commencé à labelliser le contenu satirique. Ainsi le « Borowitz Report » du New Yorker – une chronique satirique écrite par Andy Borowitz – est présenté comme « contenu satirique » lorsqu’il apparaît dans les recherches de Google Actualités.

Cette étude prouve que qualifier clairement le contenu de satirique peut aider les utilisateurs des réseaux sociaux à mieux naviguer dans un environnement informationnel complexe et parfois déroutant.

David French a certes critiqué le site de fact-checking Snopes pour avoir fact-checké à tort un article satirique du Babylon Bee mais l’éditorialiste conclut en rappelant : « Snopes est un site utile. Car il y a un espace pour rappeler aux lecteurs que la satire est une satire. »

Publié par Méta Media / Catégories : fake news