Par Mathilde Caubel, MediaLab de l'Information à France Télévisions
Que ce soit en matière de fréquentation des sites de médias d’information, d’utilisation des réseaux sociaux ou de consommation de contenus audiovisuel, le mobile est maintenant un outil central de la consommation de contenus d'information. Il est aussi perçu comme un outil d’avenir par de nombreuses rédactions, qui souhaitent créer de nouveaux formats innovants. Le Journalisme Mobile, ou "MoJo" pour les intimes, s'installe dans les rédactions et dans l'éventail de compétence des journalistes.
Zoom sur cet élan vers l’avenir, qui était l'une des thématiques principales des Rencontres de l’innovation éditoriale, en mars 2021.
Le MoJo se généralise, des petites aux grands rédactions
Durant la table ronde “Télévision et vidéo mobile : comment réussir le mariage ?”, trois représentants de médias télévisuels ont échangé sur les différentes organisations et inclusions du journalisme mobile au sein de leurs rédactions. Pour Laetitia Le Brestec (France Télévisions), le journalisme mobile offre une rapidité de déploiement et une spontanéité rare pour un grand média d’information. Des "Kits MoJo" ont été distribué progressivement pendant les cinq dernières années dans le réseau Outre-mer et régional, et du côté de franceinfo. Pour Sébastien De Bock (RTL Belgique), l'atout majeur du mobile est sa légèreté et sa facilité d'utilisation, ce qui a permis une adoption rapide, dans le journalisme sportif en particulier. Du côté de Léman Bleu TV, chaîne de télévision suisse basée à Genève, le MoJo a rapidement été intégré, permettant le développement de nouvelles compétences et un croisement des métiers de l'information.
L'intégration du MoJo dans les rédactions et l'organisation que cela demande du côté des journalistes varient aussi en fonction de la taille des média. Laurent Keller, Directeur de Léman Bleu TV, expliquait ainsi que pour une petite rédaction d'une quinzaine de journalistes, l'utilisation des Kits MoJo est spontanée, laissant à chaque journaliste le choix des moyens de captation en fonction du terrain. Du côté de RTL Belgique, les sujets en MoJo sont produits par une "agence" interne de journalistes spécialisés, et ensuite proposés aux rédactions.
Des outils professionnels mais accessibles
Un des principaux attraits du MoJo est la facilité d'accès aux équipements sur le plan technique et financier. D'un simple iPhone associé à un micro cravate on peut monter en gamme jusqu'aux kits MoJo les plus perfectionnés, au rendu le plus professionnel.
Le MoJo est surtout connu pour son usage en extérieur et lors de grands rassemblement. Cependant, la vidéo mobile peut aussi s'inviter sur les plateaux. Au cours d'une table ronde portant sur le Live Multicam en vidéo mobile, on a ainsi pu découvrir des applications professionnelles comme Switcher Go, qui permet de coordonner et partager le contenu filmé en simultané par plusieurs appareils et Switcher Studio, un logiciel permettant de piloter des accessoire pour le multicam mobile. On peut aussi ajouter Dazzle, une solution cloud française permettant de capturer l'image des mobiles connectés par le réseaux 4G/5G, d'avoir une régie en ligne pour la production et de diffuser en simultané sur différentes plateformes et réseaux sociaux.
Adapter les outils au terrain
Le journalisme mobile se prête particulièrement bien au jeu de la captation d'évènements sportifs ou culturels, ou bien de manifestations en extérieur, grâce au progrès de la 4G/5G. Cependant la qualité d'image et la résistance de l'équipement de captation traditionnels ne peuvent pour le moment pas être remplacés; en particulier pour les flash-infos et les reportages nécessitant une image plus aboutie.
Le smartphone reste aussi un équipement très fragile par rapport à d'autres caméras plus résistantes aux chocs, à la pluie... et plus appropriées à la captation du mouvement rapide d'un deux-roues. C'est l'une des raisons pour lesquelles Claire Duhamel et Laura Wojcik ont opté pour des caméras 360 et un appareil photo hybride pour le tournage de Biclou, la série à bicyclette du Parisien. Les caméras 360, sont d'autant plus adaptées à ce projet qu'elles permettent d'obtenir plusieurs plans simultanés, même en tournant seul. Mis-à-part la captation, leur équipement implique des micros cravate dont les branchements seraient aussi plus encombrants avec un mobile qu'avec le boitier Sony Alpha 7 qu'elles utilisent actuellement.
Mais l'usage de téléphones mobiles pour les captations journalistiques peuvent être mal reçus dans certains contextes. Ce problème a notamment été exposé pendant l'intervention de Patient Ligodi, fondateur d'Actualité.cd, un média d'information en ligne basé à Kinshasa (République Démocratique du Congo). Même si ce média intègre fortement la vidéo mobile dans sa rédaction, les smartphones ne sont pas acceptés dans les conférences officielles n'étant pas considérés comme des outils "sérieux" par certaines personnalités politiques. Les journalistes sont donc obligés de garder un équipement traditionnel pour leurs reportages.
Du MoJo sans iOS, c'est possible ?
Quand on pense à un kit MoJo, on imagine naturellement une batterie d'accessoires réunis autour d'un iPhone. Les applications et logiciels utilisés par les professionnels de la vidéo mobile sont (en conséquence) souvent développé en priorité pour des outils iOS.
Il est pour cela intéressant de questionner l'aspect hégémonique de cet outil grâce à des exemples de MoJo sans iOS. A l'occasion des Rencontres de l'Innovation Éditoriales 2021, ce problème a été mis en avant par Patient Ligodi (Actualité.cd) pendant son intervention sur le développement du MoJo en Afrique. Dans un pays aussi grand que la République Démocratique du Congo, il est nécessaire d'avoir un grand nombre de journalistes distribués sur le terrain, et un matériel adapté. Face aux problèmes d'approvisionnement en électricité de certaines régions, les batteries d'IPhone et Samsung ne sont pas suffisantes. Le média congolais a donc choisi d'équiper ces journalistes avec des smartphones de la marque chinoise Tecno, qui offre une meilleure endurance mais produit une vidéo moins définie.
Tous JRI ?
Par sa simplicité d'accès et sa spontanéité, le journalisme mobile se rapproche d'un contenu citoyen, que l'on pourrait trouver sur les réseaux sociaux. C'est là une de ses forces, car il permet de croiser les métiers du journalisme et d'ouvrir un peu plus les rédactions à de nouveaux talents. Mais cette ouverture n'est pour le moment que partielle car l'intégration croissante du MoJo impulse la création d'outils et accessoires qui restent principalement dirigés vers des professionnels (du fait de leur prix). Cela dit, les codes du MoJo se popularisent au-delà des rédactions, notamment sur les réseaux sociaux. Outre l'enjeu de modernisation des rédactions, les progrès du MoJo ouvrent la porte à plus de co-construction dans l'information.