Pour Kestrel Lee, le métavers existe depuis des milliers d'années. Loin d'être une idée nouvelle, il est en fait préconfiguré dans toutes les religions et mythologies d'Orient et d'Occident. Le métavers n'est pas juste un outil de storytelling, mais aussi un moyen de créer des mondes alternatifs. Il appartient aux marques (et aux médias) de se l’approprier en prolongeant leur promesse de marque et leur offre dans un univers immersif.
Entretien avec Kestrel Lee, directeur du Mediabrands Content Studio China (MBCS), mené par Kati Bremme
La version moderne du métavers se manifeste dans trois types de communautés :
- Le dark web avec ses théories conspirationnistes, les mauvaises habitudes du « dark social » se retrouvant désormais officiellement sur les réseaux sociaux grand public.
- Le divertissement, avec l’exemple de The Dark Knight Rises de Christopher Nolan prolongé dans l’Alternate Reality Gaming (ARG), Jeu vidéo à Réalité Intégrée (JRI) en français, qui permet à des producteurs de contenu de cinéma d’investir dans des séries TV bien au-delà d’une saison en donnant le moyen aux fans de vivre leur personnage préféré dans le métavers.
- Technologique à travers Roblox, AR et VR ou la création d'espaces virtuels liés aux jeux, tels que Decentraland, Axie, Sandbox, Enjin, Ecomi et même Second Life, qui ne représentent pas nécessairement une meilleure version de notre monde, mais au moins une version différente.
Ces trois éléments font partie intégrante de l'héritage de toutes les entreprises technologiques chinoises. Cela a commencé avec la messagerie QQ de Tencent, qui combinait la messagerie, les jeux et sa monnaie virtuelle QQ pour encourager les connexions répétées, les dépenses virtuelles et la personnalisation de la messagerie et du jeu de chacun, dans le cadre d'un mode de vie physique-digital, c'est-à-dire « phygital ».
Le métavers de Tencent a reçu une impulsion considérable grâce à son succès en Chine et dans le monde, à travers son application WeChat, qui est devenue le navigateur internet de la plupart des Chinois.
Tout ce qui entoure le métavers est une question de contexte et de croisements. Des sous-cultures qui traversent le courant dominant, des constructions empruntées au jeu coexistant avec des idées issues des religions, tout cela se fond dans une idée que la réalité devient plus stressante et une tendance, même pour les personnes âgées, à une vie plus virtuelle. Par exemple, pendant le lockdown de Singapour en 2020, Sentosa, sa principale destination de villégiature, a proposé des mariages virtuels à ceux qui ont dû reporter leur réception de mariage.
Les gens choisissent de faire partie de ces métavers, qui promettent une plus grande intimité et une gratification instantanée par la conversation. Au milieu de la distanciation sociale, les outils technologiques nous permettent d'être plus proches, comme le récent appel d'Adidas à créer adiverse.
Le conseil pour les marques pour réussir dans le métavers est le même que pour les réseaux sociaux : ne pas aborder ces écosystèmes comme des robots. Les gens ne suivent pas des robots, mais des humains. Avec une petite différence entre les cultures à l’Ouest et en Asie : à l’Ouest, on suit des marques ; en Asie, on suit des gens qui suivent des marques, les fameux KOL (Key Opinion Leaders), la version asiatique des influenceurs, bien plus sophistiquée et basée sur une tradition confucéenne des Shi (les érudits / experts), qui nous guident dans nos décisions.
L’objectif pour les marques est simple : ils ont besoin de gens qui « se décident consciemment » pour la marque (opt-in). L’expérience sociale doit être sécurisée. C’est le cas à travers le RGPD en Europe, et la Chine vient de passer sa législation sur les données privées (PIPL). Les marques de luxe commencent à entrer doucement dans le métavers, qui reste pour beaucoup encore un modèle dystopique. Déjà en 2019, Louis Vuitton créait des skins pour le jeu League of Legends. La tendance des LARP (Life-Action Role-Playing) aux US et du Kosplay, sont des variantes d’escapisme qui évoluent rapidement, et donc autant de nouvelles façons pour les marques d’aborder leurs clients.
Il ne s’agit plus aujourd’hui de pousser à l'acquisition de clients via les médias payants, mais de « lancer une religion ». Dans le métavers, tout se joue autour de l’adhésion à un univers : les gens aiment une histoire et veulent y ajouter leur propre caractère. L’univers de la marque est alors co-construit avec les clients. Des fans adhèrent déjà à la « Phase 5 » des films Marvel avant leur sortie, comme ils sont déjà partie intégrante de cette religion. Des pays peuvent construire leur version digitale dans le métavers, régie par des législations adaptées. Il s’agit de créer des partenariats de long terme, à travers une narration d'engagement.
Cette relation ne s’arrête pas avec la fin d’un film ou d’une campagne de marketing : elle est traduite dans un univers complet à côté du monde physique, qui permet de faire vivre les caractères d’un film ou d’une série, à l’instar des restaurants Squid Game dans la vraie vie. Dans le métavers, on peut devenir son personnage de manga préféré, et accessoirement, voyager dans le monde entier sans devoir sortir de son salon et sans s’exposer au danger du virus. Il ne s'agit même pas forcément de jouer à un jeu. Certains joueurs se contentent de visiter le monde du jeu, comme la cathédrale Notre-Dame dans Assassin's Creed, qui a été incendiée dans la réalité. D'autres veulent simplement échapper à la réalité en visitant les mondes de la Xbox.
Selon Kestrel Lee, les paysages virtuels sont l'avenir. D'autant que, dans le métavers, il n'y a pas seulement de limites d'espace, mais aussi de limites de temps. Animal Crossing a créé une expérience de Kyoto, au Japon, il y a 100 ans.
Ces constructions émotionnelles vont certainement impacter la télévision. Il ne s’agira plus de proposer juste des replays, mais de construire tout un univers autour d’un programme ou d’un film, dans un métavers où le public peut être une part active de l’histoire.