Un méta-vert, entre fiction et nécessité

C’est une réalité rappelée par Frédéric Bordage, expert en sobriété numérique : « Si chaque individu se dote d’un casque de réalité virtuelle, c’est comme si l’on multipliait par deux le nombre de smartphones dans le monde. ». Pourtant, l’argument climatique et l’impact écologique du développement du métavers, n’est pas ce qui semble aujourd’hui remettre en cause son avènement. Des raisons externes sont invoquées  :  de trop nombreux bugs, des instabilités de performance, qui n’ont pas suscité au sein même de Meta l’adhésion des employés. Ces derniers étaient pourtant invités à se saisir des promesses et possibilités offertes par Horizon Worlds (le métavers de Meta).. Si d’autres acteurs sont positionnés sur le développement des technologies immersives, peu évoquent dès la conception de leurs univers, le lancement d’une réflexion sur le coût énergétique de telles innovations. 

Par Myriam Hammad et Isya Okoué Métogo, MédiaLab de l’Information

La mesure de l’impact environnemental des services numériques est certes, une science complexe et en cours d’évolution comme le souligne le rapport de l’ADEME et de l’ARCEP. Pourtant, il semble difficile de concevoir, qu’à l’ère d’une urgence climatique inédite, ces réflexions et recherches ne soient pas partagées par les concepteurs. D’autres arguments sont alors évoqués pour venir verdir ces nouvelles réalités. C’est du côté de nos usages que l’on nous invite à regarder : en modifiant nos services, nos habitudes de consommation, nos pratiques, le métavers permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre issues des activités humaines. Ce renversement de la balance, suppose donc une adhésion, ainsi qu’une modification structurelle profonde de l’offre et de la demande actuelle. Récemment, des étudiants de l’ENSAD – L’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs –  se sont prêtés à l’exercice du débat-fiction autour de la soutenabilité des métavers. A travers différents scénarios futuristes, ils explorent des mondes où réel et virtuel se côtoient dans des métavers qui seraient venus bousculés de grands pans de notre société. Comment sortir de la fiction, et sur quels éléments tangibles se reposer pour évaluer les effets de ce futur virtuel proposé ?

L’environnement, grand absent de l’idéation du métavers

Le métavers n’existe pas encore, mais son développement semble inéluctable, poussé notamment par des investissements des géants de la tech. Face à lui, un réchauffement climatique lui aussi inévitable. Or, on oppose souvent le progrès technologique et les problématiques environnementales, et les géants de la technologie qui développent le métavers aujourd’hui ne s’illustrent pas par leur prise de position forte sur la question. On voit en effet très peu de réflexion sur les impacts environnementaux du développement des outils nécessaires au métavers. Le casque de Meta, MetaQuest, ne se répare pas : dans un article sur Presse Citron, le magazine iFixit présente une nouvelle vidéo partagée sur YouTube où on découvre que la réparation manuelle du Quest Pro est quasi-impossible. On voit ici une absence totale de réflexion sur un deuxième usage ou une pérennité de l’outil, alors même que la tendance va au reconditionnement et à la réparation des outils technologiques. Depuis que Facebook a affirmé ses engagements pour alimenter ses datacenters en énergie verte et souligné l’importance de l’Accord de Paris face à Donald Trump, la société de Zuckerberg s’est surtout faite remarquer par des investissements massifs sur un métavers qui s’annonce très polluant. 

Image: UN SDG Action Campaign

Outre ses constructeurs, les penseurs du métavers ne semblent non plus affirmer la nécessité d’un métavers à la hauteur de l’urgence climatique. Dans le rapport interministériel sur le métavers sorti il y a quelques semaines à l’attention du gouvernement français, l’environnement n’est que très peu mentionné et ses possibles impacts ne font pas l’objet d’une attention particulière. En tout, les questions environnementales représentent une seule des 116 pages du rapport. Le mot “environnement” est mentionné 6 fois, et “climat” à peine 4. 

Pourtant, les questions environnementales ne peuvent pas être esquivées. L’évènement “The Merge” de la blockchain Ethereum, qui avait pour but de réduire à plus de 99% son empreinte carbone, a bien montré que même si ces questions n’étaient pas présentes à la construction, elles doivent être abordées à un moment donné. Pour réussir le pari de développer un métavers vert et durable, il est nécessaire de poser la question du coût énergétique d’une telle technologie

Mesurer l’impact énergétique du métavers

Commençons par le commencement : la fabrication des technologies liées au métavers. Parce que particulièrement complexes, elles sont plus difficiles à fabriquer et plus consommatrices d’énergie. Surtout, elles nécessitent d’être combinées dans des domaines variés : programmation, ergonomie, reconstruction 3D, conception sonore ou bien encore IA et blockchain. C’est le “temps réel exigé” qui rend la production contraignante. Ce sont près de 30 images/seconde et 90/seconde en VR qui doivent s’enchaîner pour que l’expérience soit la plus fluide possible. Ce déroulé très rapide d’images entraîne une forte consommation d’énergie, bien plus que la vidéo en ligne actuelle qui engendre déjà près de 306 millions de tonnes de CO2 soit 20 % du total des émissions de gaz à effet de serre (GES) dues au numérique (utilisation et production des équipements confondues) et près de 1 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. 

Par ailleurs, la généralisation du métavers requiert le développement conséquent d’infrastructures et d’équipements numériques : réseaux, centres de données, câbles souterrains, casques, écrans, appareils électroniques annexes – le tout en haute définition. Or, nous savons que c’est la fabrication, et l’utilisation des infrastructures numériques qui est la plus impactante pour l’environnement, notamment parce que celles-ci sont principalement concentrées, à 60%, au sein de pays asiatiques aux mix énergétiques carbonés.  

Enfin, le développement du métavers aurait un impact conséquent sur notre consommation électrique. Les services numériques, en France, représentent environ 10% de la consommation en électricité annuelle, les centres de données quant à eux, sont estimés représentés 4 à 22% de l’impact sur l’environnement. Aussi, le développement des métavers semble entrer en particulière contradiction avec les bonnes pratiques exprimées par l’ARCEP et l’ADEME : diminuer notre consommation de vidéos en ligne et utiliser des images de plus basse qualité… 

Ces constats ont d’ailleurs été relevés par plusieurs studios de jeux vidéos – précocement exposés aux possibilités, enjeux et risques du métavers. Ils ont alerté à travers une tribune, sur ses impacts sur l’environnement, et se sont engagés à ne pas investir dans le métavers.

Le métavers, une solution ou une partie du problème ?

Le métavers est, sans concession, très énergivore. Pourtant, face aux critiques environnementales, les défenseurs du métavers  sortent la carte de la substitution et du progrès. Le nouvel espace interactif qu’ils mettent en avant pourrait être une solution pour réduire notre impact environnemental, en quittant de temps en temps notre planète. Pourtant, il faudrait pouvoir quantifier le coût du métavers, entre l’économie en terme d’énergie (pour les déplacements ou des achats immatériels) et le coût en énergie (en datacenter, minage ou hardware). Il est difficile de quantifier le coût environnemental du métavers, notamment parce que les informations ne sont pas forcément en accès libre, mais aussi parce qu’il est difficile de quantifier une technologie en construction. Cependant, à la vue du poids du streaming, du cloud gaming ou de la fabrication de l’électronique, on sait que le métavers aura un poids colossal dans nos émissions de gaz à effet de serre et notre extraction de matières premières. Face au défi de l’innovation et de la préservation de l’environnement, on trouve plusieurs écoles. 

Certains voient dans le numérique l’opportunité de réduire notre empreinte carbone. Comme le montre l’Institut Rexecode, l’essor du numérique peut être favorable à la croissance et à la réduction de l’empreinte carbone de la France. Le numérique serait alors un outil de réponse aux défis climatiques grâce à trois leviers. En premier, il permettrait de substituer des usages physiques émetteurs de carbone par des usages numériques moins coûteux. C’est le cas par exemple des voyages d’affaires, pour lesquels la pandémie a démontré la possibilité d’une substitution numérique. Deuxièmement, le numérique et l’innovation en général permettrait d’améliorer l’efficacité énergétique des produits déjà utilisés. En cherchant à développer un métavers et des mondes virtuels plus respectueux de l’environnement, on pourrait décarboner certains outils. Enfin, l’essor d’un numérique green faciliterait une transition vers une décarbonisation de l’énergie en créant des ponts de transition. C’est le cas par exemple de la Merge de la blockchain Ethereum. 

Cependant, il est certain que le tout-technologique prôné par les technosolutionnistes comporte des limites : la technologie ne peut pas être la seule solution. Surtout, le progrès environnemental ne doit pas servir au progrès technologique comme caprice. Il est certain que le progrès comme solution aide le camp de ceux qui veulent agir pour l’environnement, mais aussi ceux qui ne souhaitent que retarder la prise de mesures plus strictes, au bénéfice du profit et d’enjeux économiques. Le développement de la technologie comme solution, et l’urgence que l’on donne à la recherche de ces solutions peut aussi faire oublier les effets secondaires de ces technologies. La 5G par exemple, est vantée pour sa meilleure efficacité énergétique mais est employée pour faire passer plus de données. Enfin, les technologies liées au métavers semblent nous éloigner du réel et donc parfois aussi de ses problèmes. Le prisme de l’action est alors déplacé, et alors qu’on pense apporter une solution, on ne fait qu’accentuer le problème. 

Les nombreuses préoccupations autour du développement d’un métavers responsable dépassent la question de la technologie comme solution aux problématiques environnementales. Ils posent la nécessité de changer notre regard sur l’innovation et la technologie. Comme dans l’exercice mené par les étudiants de l’ENSAD sur la soutenabilité dans le métavers mentionné précédemment, il s’agit de faire une différence entre une technologie frugale et intensive et un low-technologie, ou une right technologie : ne pas refuser la technologie et le progrès, mais l’astreindre à des contraintes environnementales fortes. Il s’agit ici d’avoir recours à des technologies justes et suffisantes, et de poser la question de la nécessité et du besoin dans l’innovation. Lorsque ces questions sont posées, on rompt aussi le lien entre progrès et sophistication technique. C’est le concept développé par l’innovation frugale, qui part du principe que l’on peut faire “mieux avec moins”, c’est-à-dire s’appuyer sur de fortes contraintes et sur des ressources rares pour être innovant. 

 

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