Moins d'algorithmes, plus de transparence - les nouveaux réseaux, s’ils sont encore parfois à l’état embryonnaire, pourraient représenter de nouvelles opportunités dans la communication des marques et des médias à destination des jeunes générations en quête d'authenticité.
Par Victor Lepoutre, Direction de l'Innovation
La génération Z ne va plus délibérément vers les médias pour s’informer. C’est ce que rappelait Amanda Edelman, COO du Gen Z Lab & Associate Director chez Edelman lors de son intervention à Médias en Seine en novembre dernier. “Au lieu de vérifier activement les sites d'information, la génération Z reçoit une grande partie des actualités sur les réseaux sociaux”. Le parcours des jeunes consommateurs d’actualité a donc changé. Les jeunes reçoivent l’information de manière passive entre deux reels ou autres contenus visionnés sur Instagram ou TikTok. De même, rappelle l’experte, “on constate que ce qui compte le plus c’est le messager et non le message. La génération Z fait confiance aux experts, à leurs amis et à leur famille, à des gens comme eux, et c’est de là qu’ils trouvent le contenu qui leur plaît". La manière dont les jeunes consomment l’actualité dépend donc en grande partie des personnes qu’ils suivent plutôt que du type de contenu en lui-même.
Un besoin de transparence et d’authenticité
Selon l’enquête d’Edelman The Power of Gen Z, les membres de cette génération seraient 48% à penser que les médias traditionnels ne sont pas dignes de confiance. Une statistique qui révèle un “besoin de transparence et de responsabilité" selon Amanda Edelman. “Les personnes qu’ils suivent sur les réseaux sociaux – influenceurs, amis et famille – sont beaucoup plus transparentes dans leur contenu que les institutions monolithiques, comme les médias, qui, en raison de leur taille et de leurs modèles opérationnels, sont intrinsèquement moins transparentes” rappelle-t-elle.
BeReal, une plateforme authentique mais encore trop fragile
Ce besoin de “transparence et de responsabilité” est également éprouvé par les marques et ces dernières et leurs conseillers regardent largement en direction de nouveaux réseaux sociaux pour optimiser leur image auprès des jeunes générations. BeReal, le réseau social lancé en 2020 par deux Français, incite chaque jour ses utilisateurs à prendre deux photos depuis l’avant et l’arrière de leur téléphone. Une opportunité pour les marques? “Au delà de l’authenticité, BeReal à une belle capacité créative, qui est reprise par un nombre croissant d’utilisateurs sur la plateforme” affirme Jean Baptiste Quesnay, cofondateur et CEO de Trends, une agence de relations presse.
Capture d'écran BeReal
De son côté, Jonathan Noble, CEO de Swello, un gestionnaire de réseaux sociaux, voit BeReal comme “une excellente opportunité pour les membres d’une entreprise de devenir de vrais influenceurs”. En octobre 2022, le réseau social français atteignait les 50 millions de téléchargements dans le monde, de quoi réjouir les social media managers. Un chiffre atténué par un bémol : selon les statistiques de Sensor Tower seulement 9% de ses utilisateurs se connectent de manière quotidienne. “Il faut voir si le réseau social parviendra à engager ses utilisateurs. Le concept peut ne pas plaire à tout le monde” précise Jonathan Noble.
Autre point à ne pas négliger, le modèle économique de l’application. Entièrement gratuite et ne proposant pas de publicité, ni d’achat intégrés, elle survit pour l’instant grâce à des fonds levés auprès d’investisseurs en capital risque. D’après le Financial Times, l’application serait en train d’étudier des solutions d’abonnements et d’options payantes pour éviter de bombarder ses utilisateurs avec de la publicité. Pour le moment, l'appli ne convainc pas encore les professionnels de la publicité.
Hive Social, un réseau positif à mi-chemin entre Twitter et Instagram
Lancé en 2019, Hive Social propose aux utilisateurs de poster des images et des vidéos, mais aussi des GIFs et créer des sondages qu'ils peuvent envoyer à leurs amis. Il est possible de personnaliser son profil avec de la musique, des couleurs et même son signe astrologique, le tout sans subir la loi d’un algorithme: le feed de Hive fonctionne de manière entièrement chronologique. Pour l’une de ses créatrices, Raluca Pop, Hive Social est “bien plus intuitive” que les réseaux traditionnels, mais selon elle, l’équipe a surtout pris soin de créer une culture différente sur l’appli: “nous avons précisé à plusieurs reprise que Donald Trump et Andrew Tate n’avaient pas leur place sur l’application” expliquait Raluca Pop au site web Mashable en novembre 2022.
Capture d'écran Hive Social sur l'AppStore
Les utilisateurs, eux, y voient un condensé des avantages d’Instagram et de Twitter. “Hive permet de concilier le mode conversationnel et le suivi des tendances comme sur Twitter, avec le mode galerie d’Instagram” constate Jean-Baptiste Quesnay. Pour le CEO de Trends, les marques et les médias qui y seront présents le plus tôt possible pourront potentiellement en tirer un fort avantage compétitif. “Avec Hive, il est possible de cultiver la conversation et les réactions au sujet d’un lancement produit par exemple, mais dans un esprit plus bon enfant que Twitter qui attire des utilisateurs ayant parfois un esprit plus extrémiste” rappelle l’expert, en reconnaissant que la haine parfois présente sur Twitter pourrait bien se déverser sur Hive Social. Enfin, même si l’application jouit d’une bonne croissance, son nombre d’utilisateurs demeure plutôt restreint (2 millions d’utilisateurs en novembre 2022 selon Yahoo).
Succès des applications ‘feel good’ auprès des lycéens
Autre acteur prônant l’assainissement des réseaux sociaux, Gas a été lancé en août 2022. Ses 7,4 millions de téléchargements et les 7 millions de dollars dépensés par les consommateurs sur la plateforme ont attiré l’attention du réseau social Discord, qui vient d’en faire l’acquisition le 18 janvier dernier. L’application, qui restera dissociée de Discord, a pour objectif d’inciter les jeunes à dire du bien des uns et des autres. Pour l’instant présente dans quelques États américains, elle invite les utilisateurs à s’inscrire via le compte de leur école. Ils peuvent ensuite ajouter des amis et répondent à des sondages sur leurs camarades de classe. Les questions posées dans les sondages sont cependant destinées à renforcer la confiance des utilisateurs, plutôt qu’à la décimer. “Qui est le meilleur DJ du lycée? Qui est la personne que vous admirez le plus? Qui devrait-être le délégué de classe?” Le message reçu est signé par un “garçon de seconde” ou “une fille de première”, une option payante permet au destinataire de découvrir qui se cache derrière cet anonymat.
Capture d'écran Slay sur l'AppStore
“On a une nouvelle génération qui va sur les réseaux pour du positif et pour s’amuser avec ses potes. Les réseaux sociaux seront d’autant plus une extension de notre vie” explique Jean-Baptiste Quesnay. “Le principe du sondage est également intéressant: rapide, il permet de mieux atteindre une communauté qui à tendance à scroller” rappelle l’expert. En Allemagne, Slay, le “réseau social positif pour les adolescents” a rapidement été validé par ces derniers. L’application a atteint la première place de l’App Store allemand, seulement quatre jours après son lancement et prétend rassembler 250 000 utilisateurs dans les pays où elle est présente (Allemagne, Suisse, Autriche et Royaume-Uni). “Notre application est similaire à Gas, et leur acquisition est une preuve que notre modèle est bon” expliquait Fabian Kamberi, le CEO de Slay. Il affirme cependant que ces systèmes de questions/réponses peuvent elles aussi être source de cyberharcèlement et qu'elles nécessitent une gamification appropriée et surtout une modération rigoureuse.
Le succès de ces nouvelles plateformes authentiques et positives transcrit la volonté des jeunes de revenir à une interaction plus saine sur les réseaux sociaux. Libérées du scroll et des algorithmes, elles permettront aux marques et aux médias qui les utilisent à bon escient de créer un nouveau contact avec les communauté de jeunes utilisateurs qui leur dédieront plus d’attention. Mais face à la fragilité de modération des réseaux "feel good" et au modèle économique peu développé, les marques ont pour le moment encore du mal à trouver leur place et les formats d'information s'y font toujours attendre.