SXSW 2023 : Amy Webb prévoit la grande « IASMOSE »
Les métavers et autres Web3 décentralisés ne sont finalement que des badineries (ou des supports) qui cachent l' »éléphant dans la pièce » revenu sur le devant de la scène cette année : l’Intelligence Artificielle. Quand, en 2017, Amy Webb ne parlait que de la menace de la distribution de contenu par l’IA, maîtrisée en exclusivité par les GAFAM, cette année, s’y ajoute aussi la création de contenu. Pour le meilleur et pour le pire, la futurologue la plus célèbre de la planète vient de détailler à SXSW 2023 le concept de l’IASMOSE (AISMOSIS en anglais, un mot-valise bizarre formé par IA et osmose), qu’il s’agit de maîtriser pour ne pas passer à côté de la fin d’Internet tel que nous le connaissons et d’une transformation aussi impactante que l’arrivée des réseaux sociaux et du smartphone.
Par Kati Bremme, Direction de l’Innovation France Télévisions
Face aux conséquences d’explosions cataclysmiques : la publication de systèmes d’intelligence artificielle générative tels que ChatGPT et Midjourney, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’incertitude profonde sur la récession mondiale, et les algorithmes de repliement des protéines d’AlphaFold qui ont prédit les structures de presque toutes les protéines cataloguées connues de la science, pour n’en citer que quelques-unes, elle prévient dès le début de sa conférence : « Il vous faut un estomac solide« . Car ce qu’elle a à dire va être effrayant.
Les principaux enseignements de sa conférence :
1. Se concentrer pour voir les signaux
2. Utiliser l’ADM (Agir, Décider, Monitorer) pour établir des priorités stratégiques
3. L’internet tel que nous le connaissons est terminé. L’IASMOSE est la prochaine étape
4. Tout est information lisible
5. L’ère de l’informatique d’assistance
6. Les nouveaux outils ne sont pas accessibles à tous, ce qui crée une nouvelle fracture numérique
7. Tout le monde aura besoin de se perfectionner (y compris les enfants)
8. Les grandes entreprises technologiques deviennent plus grandes et plus puissantes
Tout (vraiment tout) sera information
« Text-to-Everything n’est que le début », prédit Amy Webb. Alors qu’il existe aujourd’hui des IA pour des applications bien précises, qui génèrent de nouveaux textes, des images, des vidéos ou des sons et de la musique à partir des textes saisis par les utilisateurs, il y aura bientôt des modèles d’IA multimodaux qui maîtriseront tout cela et plus encore – et qui s’immisceront dans chaque coin de notre quotidien numérique. « Cela va arriver très vite », dit Amy Webb. Et : « Nous ne sommes pas préparés à cela ».
« Et si vous ne fouilliez plus Internet, mais que ce soit Internet qui vous fouille » ?
Contrairement aux années 90 (citées par nombre de conférences cette année à SXSW pour marquer une nouvelle étape d’Internet), on partage nos données non seulement en surfant sur Internet, en publiant et en aimant sur les réseaux sociaux ou en faisant du shopping en ligne et en regardant des films en streaming. Même les odeurs corporelles, l’arrière-plan apparemment insignifiant des appels vidéo ou les informations recueillies par des toilettes intelligentes pourraient devenir du matériel d’entraînement. Les utilisateurs et leurs activités seront des ensembles de données pour alimenter l’IA. Et très vite, l’IA sera nourrie par des contenus créés par l’IA, on entre alors dans une boucle infinie de contenus qui impactera fortement la chance de découvrabilité. Des systèmes IA interagissent avec TOUTES les données. Tout devient information, et on ne trouvera plus rien. Un scénario pessimiste à forte probabilité, prévient la futurologue.
Pourquoi est-elle si pessimiste ? D’une part, parce qu’une entreprise comme OpenAI, qui a déclaré en 2020 au sujet de son IA textuelle GPT-2 qu’elle était « trop dangereuse pour être publiée » en raison de problèmes de sécurité, a malgré tout lancé depuis une IA après l’autre. Et d’autre part, parce que le développement de nouveaux modèles d’IA nécessite une telle puissance de calcul que celle-ci ne peut en fait être fournie que par les clouds d’AWS, Microsoft ou Google…
Des compétences pour éviter une nouvelle fracture numérique
Ce n’est pas tant que l’IA prendra nos jobs, mais que toutes les personnes – et ce, quelle que soit leur génération – qui ne seront pas habilitées à utiliser les nouveaux outils d’IA pourraient bientôt être complètement laissées pour compte. « Nous sommes en train de créer une nouvelle et dangereuse fracture numérique« , prévient Amy Webb.
Mais face à cette révolution, de nombreuses institutions préfèrent fermer les yeux, comme si le problème pouvait disparaître en ne pas y pensant. Le NYC Department of Education a banni les outils d’IA générative (à l’instar de Sciences Po), l’ICML interdit des chercheurs en IA générative. Pour Amy Webb, il ne s’agit pas de remplacer les professeurs par l’IA (et non plus d’investir des millions dans des startups), mais plutôt d’améliorer considérablement les moyens de l’éducation.
Car les IA génératives, à condition de les maîtriser, sont aussi de formidables outils d’efficacité. Une opportunité illustrée avec deux exemples :
Pour les programmateurs :
Pour les designers :
Une réduction biens-sûr un peu caricaturale, mais la possibilité d’utiliser des IA comme ChatGPT pour accélérer des tâches est évidente. Amy Webb a fait en direct la démonstration, en 10,7 secondes, avec la génération automatique d’un business plan d’une nouvelle start-up. Une proposition ensuite à améliorer avec un humain dans la boucle.
Un journalisme intelligent aidé par l’IA
Les outils d’IA générative réécrivent les flux de travail, les modèles de transformation révolutionnent les moteurs de recherche, le manque de confiance dans les informations rend les organismes de presse vulnérables. Les journalistes ont besoin de connaissances techniques pour retracer les histoires, se protéger des cyberattaques et monétiser leur travail. Mais les entreprises de médias traditionnelles restent sceptiques face à l’évolution de leurs activités devant le contexte de la révolution de l’IA.
Il est de plus en plus essentiel pour les journalistes d’investigation de disposer de l’expertise technique nécessaire pour comprendre et expliquer la manière dont la technologie est utilisée pour exercer le pouvoir. L’intelligence artificielle est déjà en train de changer l’industrie de l’information, et elle devient de plus en plus importante, en particulier pour les éditeurs locaux, car les solutions d’automatisation de l’information commencent à prendre de l’ampleur. Combiné à la personnalisation des informations et à la segmentation géographique, il peut être le moteur d’un journalisme de proximité précieux et pertinent dans les rédactions.
L’IA générative facilite également la transformation du format du contenu : Le texte peut devenir de l’audio. L’audio peut être associé à des éléments visuels pour créer une vidéo. La vidéo peut être résumée efficacement en texte. Les créateurs peuvent ainsi distribuer des contenus dans des formats et sur des plateformes qu’ils n’auraient peut-être pas explorées autrement. Dans un environnement où la confiance est faible, les marques qui construisent et entretiennent des relations durables avec les consommateurs prospéreront. Les éditeurs qui ont accumulé de la confiance au fil des décennies peuvent l’appliquer à tous les formats de distribution grâce à un développement de produit réfléchi.
Enfin, l’éducation aux médias est un investissement à long terme. Les outils à court terme pour lutter contre la désinformation sont limités : Dans une étude de l’université de New York, les chercheurs ont montré que le fait d’étiqueter les informations erronées dans les résultats de recherche et les flux de médias sociaux n’avait aucun impact sur l’attitude ou le comportement des utilisateurs à l’égard des informations non fiables.
Et un cas d’usage utile du métavers + IA
Amy Webb a tout de même terminé sa conférence sur une évolution positive très concrète, à savoir le métavers industriel ou le métavers médical. En effet, l’interaction entre les technologies XR, les lunettes de données, les jumeaux numériques, les nouveaux capteurs et l’IA pourrait donner naissance à des systèmes d’assistance numérique qui, en médecine par exemple, pourraient contribuer à des opérations personnalisées et précises, impensables aujourd’hui.
« Je pense que nous regarderons l’année 2023 et que nous ne ferons que secouer la tête », estime Webb. « Les chirurgiens nous ouvraient autrefois sans l’assistance d’ordinateurs dans le Métavers Médical ! »
Face à l’impact des IA génératives sur tous les métiers et sur la façon dont nous percevons l’information, on ne peut pas être observateur passif de cette tendance. La méthode de l’autruche et l’interdiction ne sont pas les bons moyens pour affronter cette révolution qui interconnecte de plus en plus nos vies avec l’IA (que l’on l’appelle « AISMOSIS » ou autre chose). D’autant plus qu’il reste toujours le problème des biais des algorithmes, aussi sophistiqués qu’ils soient : quand Amy Webb a demandé à Midjourney d’imaginer sa conférence à SXSW, l’image générée montre un homme blanc corpulent face à un parterre d’hommes blancs. On est bien loin de la réalité de la salle à Austin…