À Helsinki, le thermomètre plonge mais l'innovation technologique ne connaît pas de gel. Slush 2023, loin de n'être qu'une simple rencontre hivernale, se révèle être une épopée de la persévérance technologique où l'intelligence artificielle et l'entrepreneuriat se confrontent aux réalités économiques contemporaines, sur fond d'ambiance toujours aussi sombre, parsemée d’étranges objets organiques, et de quelques plantes vertes qui se battaient pour leur survie dans la pénombre entrecoupée de lumières laser. Au Messukeskus, l'esprit de découverte se manifeste dans un mélange, où l'obscurité saisonnière s'illumine de l'éclat des idées et des visions futuristes.
Dans un monde où l'intelligence artificielle imprègne chaque aspect de notre vie, des assistants RH aux wearables et aux soins médicaux à distance, nous franchissons le seuil d'une sorte de quatrième dimension. Cette ère numérique redéfinit notre interaction avec les machines, offrant des solutions pour éviter les affections telles que la dépression, qui nous hante peut-être face aux avancées trop rapides d'une technologie qui nous dépasse.
Par Kati Bremme, Directrice de l'Innovation et Rédactrice en chef Méta-Media
La Finlande: Petit géant technologique ou mirage nordique ?
Dans les étendues neigeuses de la Finlande, un dynamisme surprenant prend racine. Avec moins de 6 millions d'habitants, ce pays nordique pèse lourd sur la scène technologique mondiale. Autrefois berceau de Nokia, la Finlande est aujourd'hui une pépinière de l'industrie du jeu vidéo et des startups technologiques qui attirent les investisseurs, avec plusieurs d'entre-elles soutenues par des fonds de capital-risque, valorisées à plus de 1 milliard de dollars chacune. Slush, né en 2008 d'une initiative locale visant à rassembler les amateurs de technologie, est devenu un catalyseur essentiel pour cet écosystème. Sous l'égide d'étudiants de l'université Aalto, la conférence a explosé avec plus de 25 000 participants, générant près de 11 millions de dollars annuellement et incarnant l'entrepreneuriat avec une indéfectible ferveur finlandaise, qui n'a pas peur de l'échec.
Cependant, derrière cette façade se cache aujourd'hui une réalité plus nuancée. Les entrepreneurs finlandais émergent certes, mais le pays reste un nain en matière de financement de capital-risque, spécialement lorsqu'il s'agit de soutenir les entreprises au-delà des stades précoces de développement. La diversité s'affiche chez Slush, des jeunes recrues aux cadres expérimentés, mais un défi subsiste : la prédominance masculine parmi les entrepreneurs technologiques finlandais. Pourtant, l'existence d'exceptions comme Reflex Solutions, co-fondée par une femme, offre un espoir de changement. Miki Kuusi, CEO de Wolt, racheté par DoorDash, reste optimiste : "C'est une question de temps avant que nous n'assistions à un équilibre plus représentatif au sein de notre écosystème."
L'IA, bouée de sauvetage des startups en mal de financement ?
Selon Tom Wehmeier, partenaire chez Atmico, investisseur en capital-risque basé en Finlande qui a soutenu des startups telles que Stripe, Klarna et Skype, ce qui distingue l'Europe, c'est la disponibilité des talents. "Il y a un grand vivier d'ingénieurs à travers l'Europe, y compris dans des pays nordiques comme la Finlande et l'Estonie, qui travaillent actuellement pour des entreprises américaines sur place en Europe. Il est inévitable qu'à mesure que le capital commencera à affluer... et que les grandes entreprises prendront des rôles de mentorat, ces personnes commenceront à se détacher pour créer de nouvelles entreprises".
Les données révélées par Atomico sont un rappel sévère : les investissements plongent, le capital-risque européen a chuté de 55 % par rapport à l'année record de 2021. Eerika Savolainen, CEO de Slush note un changement dans l'air : la durabilité prend le pas sur la croissance à tout prix. Mais est-ce un choix stratégique ou une réponse contrainte à un environnement de financement plus frileux ? Ce climat financier impose aux startups de prouver leur viabilité à long terme bien plus tôt dans leur cycle de vie. Dans un hiver financier, les startups qui s'engagent dans des secteurs comme l'écoresponsabilité, la santé et l'énergie attirent un nouvel afflux de capital. Atomico souligne cette tendance, notant que 27% de tout le capital investi a été capturé par les startups dans le secteur de l'énergie et du carbone, éclipsant même la fintech et le logiciel.
Markus Villig, fondateur et CEO de Bolt, habitué de Slush, et ambiance organique au Messukeskus
L'IA, booster de croissance ? Innovation versus protection
La startup Proximie redéfinit le domaine médical avec son SDK avancé pour la numérisation des salles d'opération, améliorant la collaboration et l'efficience chirurgicale par des moyens de téléprésence et d'analyse de données. En parallèle, la société de capital-risque Benchmark maintient son soutien stratégique dans l'écosystème de l'IA. Célèbre pour son approche équitable envers ses associés et ses investissements judicieux dans des entreprises de renom telles qu'Uber et Dropbox, Benchmark a marqué sa présence à Slush en confirmant son intérêt pour "l'excellence et l'exceptionnel" que représente l'écosystème des startups européennes. Pendant ce temps, Silo AI, avec son expertise approfondie et son équipe de plus de 300 spécialistes, dont 150 doctorants en IA, s'affirme dans la sphère de l'IA générative, en visant une expansion (y compris en France) qui témoigne de son aspiration à être à la pointe de l'industrie 4.0 et des villes intelligentes.
Duolingo, l'application d'apprentissage de langues la plus utilisée au monde, conçue par un Suisse, ne souhaite pas non plus se faire dépasser par la révolution ChatGPT. Son PDG Severin Hacker a répondu à Alex Stöckl, partenaire fondateur de Wingman Ventures à Slush que son entreprise (qui vient d'intégrer des cours de mathématiques et de musique) va encore davantage adopter la technologie IA : "attendez-vous bientôt à un Avatar Personnel dans Duolingo qui vous fera oublier le besoin de ChatGPT ou d'autres en dehors de Duolingo".
Severin Hacker, Duolingo face à Alex Stöckl, partenaire fondateur de Wingman Ventures
Côté jeux vidéos, pour Hilmar Veigar Petursson, CEO de CCP Games, l'IA générative peut aider à approcher l'infini, et pour certains jeux, dont le scénario est tellement mal écrit que les utilisateurs croient à une oeuvre fabriquée par l'IA (cf Silent Hill), il serait peut-être mieux d'utiliser un assistant artificiel intelligent. Hovhannes Avoyan, fondateur de Picsart, la plus grande plateforme de design en ligne (150 M d'utilisateurs / mois), et dont la fille est artiste, défend de son côté la créativité humaine pour raison familiale, et souligne que son service s'adresse surtout aux professionnels du marketing, ne remplaçant en aucun des cas des artistes.
Mistral, le miracle français semi-Open Source
En juin de cette année, Mistral AI basée à Paris a réussi un tour de table de 105 millions d'euros - ce qui en fait la plus grande levée de capitaux à ce stade. La levée de fonds a été menée par Lightspeed Venture Partners, et a vu la participation d'investisseurs basés en France, en Allemagne, en Italie, en Belgique et au Royaume-Uni, parmi lesquels JCDecaux Holding, Rodolphe Saadé et La Famiglia. Pour son fondateur et PDG, Arthur Mensch (drôle de patronyme pour un défenseur de l'IA), il est important de placer l'Europe sur la carte dans la course à l'IA avec les États-Unis et la Chine. Autre poids mi-lourd de l'IA européenne : Aleph Alpha, qui a récemment levé 500 millions d'euros, rejoint cette course à la fabrication d'un champion européen qui permettra d'intégrer des valeurs européennes dans l'IA générative.
Arthur Mensch, co-fondateur et CEO de Mistral, en discussion avec Paul Murphy, partenaire à Lightspeed Venture Partners
Pour les entreprises européennes, l’approche open-source (modérée - il ne faut pas tout divulguer) semble la plus pertinente pour tirer son épingle du jeu et rivaliser avec les poids lourds américains du secteur tel que Open AI. Lors de son intervention à Slush, Arthur Mensch, qui positionne Mistral (en se différenciant d'Open AI) surtout du côté B2B à destination des développeurs, a estimé qu’il existe de nombreuses opportunités dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de l’énergie. Interrogé au sujet de l'encadrement réglementaire européen, le PDG de Mistral, passé par Meta, souligne l'importance de réguler, mais plutôt les produits, et non pas la technologie, en s'alignant ainsi sur l'argumentation des défenseurs de l'innovation (à tout prix).
Reste à savoir si le cadre final fixé par Bruxelles permettra l’émergence d’un titan européen technologique qui se fait désespérément attendre. Pour l'instant, pour Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur, "les Gafam et la startup Mistral ne défendent pas l'intérêt général". Au risque de choquer, il vient de hausser le ton à quelques jours des derniers arbitrages sur l’IA Act. Cette loi globale applicable à toute l’Europe sera la première dans le monde à mettre en balance le nécessaire soutien à l’innovation et la prise en compte des risques systémiques de l'intelligence artificielle.
Conclusion : Un futur entre promesses et précautions
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Slush 2023 s'achève sur une note ambiguë. L'optimisme suscité par les avancées technologiques est contrebalancé par une réflexion critique. L'Europe, avec ses ambitions affirmées dans l'IA, tente de trouver un équilibre entre l'aspiration à devenir un leader technologique et la nécessité de préserver ses valeurs sociétales et éthiques. Le défi sera de naviguer dans cet avenir incertain sans sacrifier ni l'innovation ni l'intégrité. Ce qui est sûr : Un an après la sortie de ChatGPT, l’euphorie autour de l’IA générative est loin d'être retombée. L'intelligence artificielle est bien plus qu'une mode éphémère, c'est la force motrice d'une ère nouvelle qui s'annonce. Pour les milliers de fondateurs et d'investisseurs qui se sont rassemblés dans la capitale finlandaise, 2023 était l'année de l'IA. Et dans un monde en crise économique perpétuelle, c’est la start-up Faircado, un Amazon des produits de seconde main (dans la tendance Green Friday au lieu du Black Friday) qui a remporté le grand prix de Slush.