Les biographies permettent au lectorat d’en savoir plus sur les journalistes derrière les papiers. Mediapart et le New York Times expliquent comment cet outil est une manière de renforcer confiance et engagement.
Par Agathe Kupfer, journaliste indépendante
Si vous pouvez reconnaître dans la rue le ou la présentateur·ice du journal de 20 heures, il y a peu de chance que vous reconnaissiez le ou la journaliste qui a signé le dernier papier que vous avez lu. En presse écrite, les signatures et les pages de bios ne disent pas grand-chose de l’auteur·ice et de son travail.
Pourtant, incarner son média, même à l’écrit, permet aux lecteur·ices d’en savoir plus sur le·la journaliste qui a écrit tel ou tel article. Par cette même occasion, les journalistes peuvent être plus transparent·es sur leur manière de travailler, de choisir leur sujet et leur expertise pour en parler. La jeune génération va chercher l’information chez des sources dans lesquelles ils et elles ont confiance, d’après une étude du Financial Times sur le rapport des jeunes générations aux médias et à l’information parue en mars. Le·la lecteur·ice fait confiance à une source lorsqu’elle a une expertise et une crédibilité pour parler d’un sujet, si il·elle se sent proche d’elle et enfin si ses intentions, biais et possibles conflits d’intérêts sont connus.
L’incarnation devient alors essentielle pour les médias qui cherchent à toucher un public jeune, notamment via les réseaux sociaux comme TikTok et Instagram, mais aussi à instaurer un lien de confiance en général. Certains médias choisissent de mettre des journalistes devant une caméra afin de montrer aux lecteur·ices les visages de certaines personnes qui travaillent dans la rédaction.
Pourtant, cette stratégie n’est pas la seule pour engager son lectorat en misant sur la transparence et l’incarnation. Sous-estimées et peu utilisées en France, les biographies accessibles depuis le site du média sont une manière de valoriser le travail des journalistes à l’origine des articles que nous lisons et plus largement les équipes derrière les médias comme le fait Contexte, média destiné aux profesionnel·les de la politique. Aux États-Unis, la pratique est courante, la majorité des grands sites d’information ont des fiches biographiques, plus ou moins détaillées, pour leurs journalistes. En France, la tendance est autre : certains médias ont construit des pages auteur·ices qui associent un nom de journaliste à la série de papiers qu’il·elle a écrits. Quand vous lisez un papier vous avez ainsi la possibilité de cliquer sur le nom du journaliste qui en est à l’origine (en tête ou en bas de page) ; vous serez redirigé·e vers l’ensemble des papiers qu’il·elle a produits pour le média.
La menace de l’intelligence artificielle
Une habitude américaine qui pourrait s’expliquer par « la figure du journaliste star qui existe même dans la presse écrite aux États-Unis et moins en France », suppose Renaud Creus, directeur de la communication de Mediapart qui accompagne le nom de ces journalistes de quelques lignes biographiques et d’une déclaration d’intérêts. Côté américain, Edmund Lee, qui dirige la trust team du New York Times (une équipe transversale dont l’objectif est d’établir des stratégies pour renforcer la confiance des lecteur·ices dans le journal), estime que la France et plus largement l’Europe ont « un état d’esprit plus traditionnel qu’aux États-Unis » attachée au fait d’écrire de manière synthétique et d’aller à l’essentiel.
À l’ère du numérique, de la multiplication des sources d’information et l’arrivée des contenus générés par l’intelligence artificielle, ne laisser qu’un nom en signature ne semble plus suffire pour montrer aux lecteur·ices qu’ils·elles peuvent avoir confiance en l’article qu’ils·elles lisent. Inclure les biographies de ses journalistes est aussi un moyen pour un média d’information de rappeler que ses articles ne sont pas écrits par des robots. « Maintenant, les lecteur·ices peuvent être encore plus facilement berné·es et nous voulons que ce soit d’autant plus clair que ce sont des humains qui font notre travail et pas des robots », affirme Edmund Lee. Pour cette raison, le New York Times, qui avait intégré les biographies à son site peu après son arrivée sur internet en 1996, a commencé à intégrer une version enrichie de ces dernières en septembre. « Les gens veulent tout savoir, leurs attentes sont différentes d’auparavant », estime Edmund Lee.
Les journalistes du quotidien américain doivent à présent expliquer dans leur fiche biographique ce qu’ils·elles ont fait avant d’intégrer la rédaction, les sujets qu’ils·elles couvrent et l’éthique journalistique à laquelle ils·elles s’astreignent. Le lieu depuis ils·elles travaillent est aussi inscrit. « Les lecteur·ices ont de fausses idées concernant nos journalistes. Beaucoup pensent par exemple que nous sommes tous·tes de New York, alors que ce n’est pas vrai. La majorité sont d’ailleurs et travaillent aussi ailleurs », explique Edmund Lee.
Renforcer la culture de l’information
En donnant des informations personnelles sur les journalistes, ces médias renforcent autant la confiance que la transparence sur leur manière de travailler. La plus grande innovation des biographies du New York Times est la partie sur l’éthique journalistique. « Quand nous l’avons testée auprès des lecteur·ices, ils·elles ont eu l’impression que c’était la chose la plus importante à savoir », affirme Edmund Lee. Ainsi, par le biais de ses journalistes, le New York Times rappelle qu’il est un média indépendant qui n’a pas de connection avec les sujets dont il traite.
Les lecteur·ices apprennent également dans cette rubrique la manière dont les journalistes travaillent. On peut lire dans la biographie de la journaliste Vivan Yee, reporter au Caire qui couvre l’Afrique du Nord : « Consciente que je ne suis pas originaire de la région ou de la culture que je couvre, j'essaie toujours de mieux comprendre l'endroit où je me trouve, tout en remettant en question mes propres hypothèses et préjugés. » Ou encore de comprendre comment un·e journaliste traite ses sources, comme l’explique le journaliste d’investigation Ben Protess dans sa bio : « Je prends également des mesures pour éviter de créer un conflit. Ainsi, lorsque je rencontre une source, je paie le café ou le déjeuner et je n'accepte pas de cadeaux. »
Répondre aux besoins de sa communauté
Aujourd’hui, près de 90% de la rédaction du New York Times a adopté cette nouvelle biographie, soit près de 600 journalistes. Mettre en place cette innovation à l’échelle d’une si grande rédaction demande cependant beaucoup de moyens. La trust team du New York Times a fait des recherches pendant deux ans pour concevoir ces nouvelles biographies. Elle a notamment sondé un panel de lecteur·rices restreint choisi·es à la suite d’entretiens. Une maquette leur a été présentée avec plusieurs catégories (leur formation et origines, leur éthique, leur rôle, leur travail, d’où travaillent-ils, etc) pour composer les biographies. Ils·elles pouvaient en enlever ou en ajouter et changer leur ordre. Engager sa communauté de lecteur·ices dans le développement et l’évolution du média est par ailleurs une manière de soigner le lien de confiance avec elle.
Il a fallu ensuite convaincre les journalistes de la rédaction d’écrire leurs nouvelles biographies. L’équipe d’Edmund Lee a encore une fois commencé par constituer un petit groupe pilote de journalistes pour inciter les autres à le faire petit à petit. Le procédé est toujours le même pour l’implantation des nouvelles biographies. Une fois que les journalistes l’ont rédigée grâce aux indications et aux exemples de la trust team, elles sont relues et éditées par cette même équipe avant d’être validées par leur rédacteur·ice en chef. Une fois encore le temps accordé à ce suivi et ces relectures demande beaucoup de moyens dont le New York Times dispose.
Mais quelle que soit l’échelle d’un média, des pratiques peuvent être imaginées pour implémenter des biographies qui répondent aux besoins du lectorat. En plus d’une page « équipe », toutes les signatures des articles des Jours sont cliquables et présentent une biographie de la personne concernée ainsi qu’une photo. Cette page s’accompagne également d’un onglet « m’écrire » avec un formulaire de contact. Un autre exemple du côté de Brief.me, une newsletter d'actualité quotidienne, qui présente chaque membre du média sous l’onglet « l’équipe » avec une bio, une photo et une déclaration d’intérêt. Sans avoir de catégories spécifiques, les biographies de ces deux médias, dont les équipes sont petites, allient parcours professionnels, sujets de prédilection et souvent aussi des informations sur la personnalité de la personne.
Montrer la diversité d’une rédaction
Les biographies sont « une façon d’incarner la rédaction, de montrer que derrière un site, des articles, des signatures, il y a aussi des visages et des gens », estime Renaud Creus à Mediapart. « On est une rédaction avec 65 journalistes et autant de profils différents », ajoute-t-il. En plus d’être liées aux signatures des articles, ces pages biographiques sont aussi accessibles depuis le bas de la page d’accueil en cliquant sur les photos des membres de la rédaction. Les journalistes de Mediapart n’ont pour l’instant pas d’obligation pour la remplir. Sur sa page, chacun·e doit y faire figurer sa déclaration d’intérêt mais ils·elles choisissent d’écrire ce qu’ils·elles veulent sans être contraint·es par des catégories spécifiques. L’équipe de Mediapart a pour objectif proche d’établir quelques indications et une trame avec leur parcours professionnel, pourquoi ils·elles traitent ces sujets et comment ils·elles les abordent pour de futures biographies enrichies.
Un procédé similaire est utilisé par Contexte qui présente son équipe (éditoriale mais pas que) sur sa page « Équipe » par un trombinoscope. Par ailleurs, cette page ne présente qu’une vingtaine de membres et change chaque jour pour découvrir d’autres membres de l’entreprise. En cliquant sur les photos de membres de l’équipe, on découvre une courte biographie ainsi que plusieurs liens vers leurs réseaux sociaux et enfin leur déclaration d’intérêts.
Inspirer la confiance pour les sources
Si ces informations rendent service aux lecteur·ices, elles rendent aussi service aux journalistes. Les biographies de la rédaction de Mediapart s’accompagnent de liens pour permettre à des personnes de les contacter dans le but de leur communiquer des informations. « Ils peuvent aller chercher qui est la personne qui couvre le sujet concerné et c’est aussi une manière de renforcer le lien de confiance », explique Renaud Creus. Un constat que partage Edmund Lee au New York Times : « les sources font davantage confiance aux journalistes car l’accès à certaines informations personnelles leur permettent de se sentir plus à l’aise pour leur parler. » L’ajout des liens vers les réseaux sociaux, comme celui de liens en général, permet également à ces pages d’être mieux référencées sur internet.
Les biographies permettent d’éduquer les lecteur·ices à la culture de l’information mais aussi de mettre en avant les valeurs d’une rédaction notamment la transparence et le respect d’une éthique journalistique. « Ajouter des biographies aux noms des journalistes permet de montrer la diversité et la richesse de notre rédaction mais en ne mettant pas une personne au-dessus des autres », conclut Renaud Creus.
Cet article d'Agathe Kupfer est republié sous licence Creative Commons depuis le site Médianes.