Internet cloisonné et sous monopoles : comment a-t-on pu laisser faire ?

L’Internet que nous aimions -- libre, ouvert, créatif -- est en danger, entend-on cette semaine à Austin, durant le festival interactif annuel South by Southwest

« Vous rappelez-vous quand Internet était gratuit ? » s’est même interrogé samedi un panel, très inquiet de la double hégémonie exercée désormais par une poignée de géants du web (qui vendent nos données) et de câblo-opérateurs fournisseurs d’accès (qui créent des monopoles pour augmenter les prix).

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« Il est minuit moins le quart (…) Si nous ne faisons rien, Internet deviendra comme la TV par câble, un monstre, alors que c’est un service public », assure Tim Wu, professeur à la Columbia Law School et ex-conseiller spécial de l’administration Obama.

 « Tous les grands médias (radio, télévision, cinéma, téléphone, …) sont passés par des phases d’ouverture et de créativité, suivies par des périodes d’extrême consolidation, débouchant sur des situations monopolistiques ou oligopolistiques (…) Aujourd’hui vous avez les +Big 5+ (Google, Facebook, Amazon, Apple et Twitter) plus deux câblos/FAI (Comcast et Verizon), soit 7 entreprises, et quelques applis, qui contrôlent l’Internet ».    

« Internet n’est-il pourtant pas différent ? Comment a-t-on pu laisser faire ça en moins de cinq ans ?», s’interroge celui qui a inventé le terme de « neutralité du Net ».

« Avant les start-ups espéraient devenir des géants. Aujourd’hui, elle ne pensent qu’à ceux qui les racheteront et dont elles deviendront les vassaux ». 

 Internet ? Un shopping mall de luxe !

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Pour la canadienne Sue Gardner, directrice générale de la fondation Wikimedia, qui se dit découragée, « Internet est devenu un shopping mall (galerie marchande) de luxe où beaucoup de gens ne peuvent plus se rendre, alors que nous pensions qu’il serait un lieu de créativité, toujours ouvert, non censuré, neutre, rempli de contenus gratuits et super-intéressants à partager ».   

« Il devrait être comme une ville qui, à côté des boutiques et des restaurants, a aussi des jardins publics, des écoles et des bibliothèques (…) Hélas, nous n’avons pas vu fleurir des centaines de Wikipédia et la qualité des contenus à laquelle nous étions habitués est désormais inférieure».

« Aujourd’hui, dans les Starbucks de la Silicon Valley, vous n’entendez que des gens qui cherchent la sortie pour se faire racheter. Ajoutez à cela l’acceptation de la surveillance et le cynisme et vous avez un vrai effet anti-innovation ».

« Internet est gratuit comme le premier shoot d’héroïne ! (…) Avons-nous donc basculé dans la mauvaise direction ? En tous cas, nous devons être vigilants à ne pas laisser trop de puissance à ces géants » comme Google, Facebook et les fournisseurs d’accès, estime Paul Steiger, fondateur du site d’enquêtes journalistiques ProPublica et ex-patron de la rédaction du Wall Street Journal pendant 15 ans. 

 « Jusqu’à quand les telcos, câblos et FAI vont-ils continuer à taxer notre économie ? », demande Wu. Leur raisonnement est simple, explique-t-il : « les grands pure players ont un joli business et gagnent plein d’argent, essayons donc de leur en prendre un peu ».

« Les câblos, qui ont une vraie part de responsabilité dans l’appauvrissement des Américains, coûtent déjà près de 200 $ par mois aux foyers US, mais ils veulent encore plus ! ».

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L’accord entre Netflix et Comcast, un dangereux précédent

Comcast a eu recours à un échappatoire au sein des règles habituelles de la neutraité du Net, explique Wu. Le câblo a mis en avant son point de contact avec Netflix sur le réseau, et a fait du chantage : votre produit est mort et n’atteindra pas nos clients si vous ne payez pas !

« Or Netflix ne leur coûte pas un dollar de plus. C’est tout simplement un péage et c’est un précédent très dangereux pour l’Internet ».

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La FCC se résoudra-t-elle une bonne fois à défendre la neutralité du Net ?

Elle est clairement en danger, estime Tim Wu. Pour lui, la bonne nouvelle, c’est que la FCC explique Tim Wu, c’est qu’elle est dirigée désormais par un homme en fin de carrière qui ne rêve pas d’aller travailler dans les telcos. « Quand les gens sont âgés, ils font parfois des choses dans l’intérêt général ».

La mauvaise nouvelle c’est que « les Républicains sont généralement meilleurs que les Démocrates sur ces sujets ».

Que faire alors ? Démanteler les géants ?

« Il faut faire quelque chose. Nous voulons un Internet différent », exhorte Wu.

« Il faut créer une prise de conscience du public », estime Paul Steiger, comme pour le rejet in extremis par le Congrès et après une grande campagne en ligne des lois SOPA (piratage) et PIPA (copyright) il y a trois ans.

« Susciter un choc en retour de la part de la puissance-geek », juge Tim Wu et même « démanteler les entreprises qui sont devenues trop grandes et qui au bout d’un moment détruisent l’innovation ». En 1984, c’est Reagan qui a brisé ATT en plusieurs morceaux, rappelle-t-il.

« Dans les années 80, l’arrivée de la TV par câble a été perçue comme une délivrance. Nous avons même cru qu’elle permettrait même un meilleur débat politique aux USA. Aujourd’hui, c’est devenu un monstre. Si nous ne faisons rien, Internet deviendra comme elle », juge l’auteur de l’excellent ouvrage « The Master Switch, grandeur et chute des empires de l’information ».

Laissons-lui le mot de la fin :   

« Ce média, qui reste innovant, est tout de même spécial, inédit dans l’histoire humaine, puisqu’il n’appartient à personne et en même temps à tout le monde ». 

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