Liens vagabonds : Perplexity et les géants de la presse, un (nouveau) bras de fer sur l'utilisation des contenus

Alors que les entreprises d'IA aspirent des tonnes de contenu sur Internet, le trafic de recherche s'impose comme le prochain champ de bataille dans la lutte entre les éditeurs et les géants de la tech. Les chatbots d’IA sont bloqués par 67% des sites d’actualité les plus fiablesselon une étude de NewsGuard. Mais cette mesure semble bien insuffisante pour garantir une protection complète. Malgré ces restrictions, les robots d'indexation continuent d'accéder aux données en temps réel, un abus dénoncé (et prouvé) en août dernier par le New York Times. Depuis l'arrivée de l'IA générative et des interfaces comme ChatGPT, le premier journal américain mène un bras de fer juridique avec les géants de la tech, là où la plupart de ses confrères optent pour des contrats et partenariats. Désormais, un nouvel adversaire s’ajoute à la liste : Perplexity, la start-up soutenue par Jeff Bezos, qui défie ouvertement Google Search.

Newsguard

Accusée d'exploiter les articles du New York Times sans licence, Perplexity vient de recevoir une mise en demeure exigeant l'arrêt immédiat de cette pratique, dénoncée comme une violation du droit d'auteur et un enrichissement injuste. "Perplexity et ses partenaires commerciaux se sont injustement enrichis en utilisant, sans autorisation, le journalisme méticuleusement écrit, recherché et édité du New York Times, sans licence", a pointé le média. Le New York Times a également demandé des explications sur la manière dont Perplexity accède à ses articles malgré les mesures de blocage. Dans cette bataille, les médias ne sont pas seuls. En même temps que Forbes, Condé Nast, Vanity Fair et Vogue rejoignent l'accusation contre Perplexity, un groupe d'auteurs vient d'obtenir gain de cause aux États-Unis, forçant OpenAI à révéler les sources ayant entraîné leur modèle (c'est donc possible).

En attendant, pour tenter de calmer la situation, Aravind Srinivas, PDG de Perplexity, a déclaré qu'il ne souhaitait pas être perçu comme un "antagoniste" des médias et qu'il était prêt à collaborer. "Nous ne collectons pas de données pour créer des modèles de base, mais indexons plutôt des pages web et faisons apparaître du contenu factuel sous forme de citations pour informer les réponses lorsqu’un utilisateur pose une question", a-t-il expliqué. A voir si cette affirmation concerne aussi leurs nouveaux produits proposés aux entreprises (autre eldorado des données) : Internal Knowledge Search et Spaces. Aujourd'hui, de nombreux éditeurs voient leur modèle économique s'effondrer et réclament une rémunération juste et une transparence accrue concernant l'utilisation de leurs contenus par les entreprises d'IA. Cependant, les modalités de ces accords, ainsi que les termes des négociations, restent souvent flous. Comme le souligne le chercheur Félix Simon, "nous avons besoin de plus de clarté sur les accords entre les entreprises d'IA et les éditeurs de presse", à l’heure où au moins 26 éditeurs internationaux, parmi lesquels le Financial Times, Condé Nast, le Texas Tribune et Der Spiegel, ont signé des accords de licence avec des entreprises comme OpenAI, Microsoft et Perplexity.

Résultat d'une enquête menée en mai 2024 auprès des cadres média du réseau WAN-IFRA (basée sur 91 réponses)

L'un des principaux défis reste l'évaluation de la valeur des données d'entraînement utilisées par les IA. “Ne pas savoir combien valent les données d’entraînement rend également plus difficile de dire pour les acteurs plus petits d’évaluer les conditions des accords qui leur sont proposés. Alors qu’un grand groupe de presse pourrait embaucher un cabinet de conseil en économie pour faire les calculs à leur place, les petites entreprises risquent de ne pas pouvoir se permettre ce luxe. Elles risquent donc de se voir présenter un fait accompli avec peu de marge de négociation”, explique Félix Simon. En fin de compte, cette incertitude affecte également les décideurs politiques et les régulateurs. L'opacité des accords renforce un jeu de pouvoir où seuls les grands gagnent, laissant les plus petits sans protection ni recours.

Le conflit autour des contenus journalistiques révèle une asymétrie profonde entre les médias et les entreprises d'IA, qui imposent leurs règles grâce à leur puissance technologique et financière. Les accords de licence, souvent perçus comme des compromis, ne font qu'effleurer le problème en laissant les géants du numérique fixer les termes. Ce bras de fer dépasse les enjeux économiques : il touche à la souveraineté éditoriale et à la légitimité du journalisme, alors que les contenus générés par l'IA risquent de diluer la valeur de l’information. Les médias doivent non seulement défendre leurs droits, mais aussi réaffirmer leur rôle essentiel auprès du public. Pour redéfinir cette relation, il faut repenser en profondeur le partage de valeur et la responsabilité entre les acteurs.

CETTE SEMAINE EN FRANCE

  • C’est parti pour la réforme du financement de l’audiovisuel public - le Sénat a entériné le projet de loi permettant à l'audiovisuel public d'être financé par des taxes affectées (Télérama)
  • Spotify lance son offre d'audiobooks en France (Les Echos)
  • Licenciements en vue en France pour le géant américain de la pub IPG (Les Echos)
  • Guillaume Dubois, le directeur général d’Euronews, « révoqué » (Le Monde)
  • Les films de patrimoine s’opposent à ce que l’IA les utilise sans autorisation (Telerama)

3 CHIFFRES

  • 37 % des Républicains et des indépendants proches du Parti républicain déclarent avoir beaucoup ou assez confiance dans les informations provenant des réseaux sociaux (Pew Research Center)
  • Netflix gagne 5 millions d'abonnés, portant son total à 282,7 millions dans le monde (The Hollywood Reporter)
  • Un an plus tard, l'édition européenne du Guardian représente 15 % du nombre de pages consultées de l'éditeur (NiemanLab)

LE GRAPHIQUE DE LA SEMAINE

Netflix a ajouté 22 millions d'abonnés en 2024, son plus grand nombre depuis 2020.

Infographic: Netflix Added 22M Subs in 2024 So Far, the Most Since 2020 | Statista

Source : Netflix, graphique : Statista

NOS MEILLEURES LECTURES / DIGNES DE VOTRE TEMPS / LONG READ

  • L'IA peut-elle aider l'Afrique à combler le fossé du développement ? (Financial Times)
  • Ofcom appelé à agir après qu'une entreprise américaine a qualifié Roblox de « paradis des pédophiles » (Guardian)
  • Le boom de l'IA a une date d'expiration (The Atlantic)
  • Tout ce que nous savons sur les « shadowbans » sur les réseaux sociaux (Washington Post)

DISRUPTION, DISLOCATION, MONDIALISATION

  • Amazon fait son entrée dans l'actualité avec la couverture en direct des élections par Brian Williams (New York Times)
  • Dans les coulisses de la guerre de Gaza chez Condé Nast (Semafor)
  • Le projet d'interdiction des réseaux sociaux en Australie soulève des craintes d'isolement chez les adolescents (Reuters)
  • Meta licencie son personnel pour avoir acheté du dentifrice au lieu d'un déjeuner (BBC)
  • Ce n'est pas moi, c'est juste mon visage » : les mannequins qui ont découvert que leur image avait été utilisée dans la propagande par l'IA (The Guardian)
  • Des millions de personnes utilisent des bots IA « nudifiants » abusifs sur Telegram (Wired)
  • YouTube fait un petit pas vers l'étiquetage des vidéos authentiques (The Verge)

DONNEES, CONFIANCE, LIBERTÉ DE LA PRESSE, DÉSINFORMATION

  • Déclaration d’Ottawa : des médias publics du monde entier s’allient avec la Public Media Alliance, le Groupe de travail mondial pour les médias publics et CBC/Radio-Canada pour combattre la désinformation (CBC)
  • YouTube fait un petit pas vers l'étiquetage des vidéos authentiques (The Verge)

LÉGISLATION, RÉGLEMENTATION

  • Meta est poursuivi par plusieurs Etats américains pour l'addiction des adolescents aux réseaux sociaux (Reuters)
  • Un nouveau projet de loi au Royaume-Uni pourrait obliger les entreprises de réseaux sociaux à rendre leur contenu moins addictif pour les moins de 16 ans (The Guardian)

JOURNALISME

  • Le Royaume-Uni va consulter sur le modèle d'opt-out pour le scraping de contenu par l'IA, un coup dur pour les éditeurs (Financial Times)
  • La BBC va supprimer 155 postes au sein de sa rédaction (Financial Times)
  • Pourquoi le lancement de Microsoft Copilot Daily est un « moment significatif » pour l'industrie de l'information (PressGazette)

STORYTELLING, NOUVEAUX FORMATS

  • Tina Brown, la reine des médias traditionnels, emmène son journal sur Substack (New York Times)

ENVIRONNEMENT 

  • Une IA scanne la « matière noire » de l'ARN et découvre 70 000 nouveaux virus (Nature)

RÉSEAUX SOCIAUX, MESSAGERIES, APPS

  • Modération de contenus : TikTok remplace des postes au profit de l’IA (Media Leader)
  • Instagram s'attaque à la « sextorsion » alors que les problèmes de sécurité des adolescents se multiplient (Washington Post)
  • YouTube teste à nouveau son abonnement Premium Lite à prix réduit, mais avec des publicités limitées (The Verge)
  • Comment WhatsApp génère-t-il des revenus ? C'est gratuit, mais avec quelques astuces (BBC)

STREAMING, OTT, SVOD

  • Début d'une répression fédérale sur les politiques d'annulation des services de streaming (The Hollywood Reporter)
  • Warner Bros Discovery va lancer son service de streaming Max dans sept marchés asiatiques en novembre (Reuters)
  • La question de la rémunération des talents plane sur les résultats de Netflix (Variety)
  • Ted Sarandos défend la position ferme de Netflix sur la distribution en salle : « Nous sommes dans le secteur de l'abonnement en streaming, et vous pouvez voir nos résultats » (Deadline)

AUDIO, PODCAST, BORNES

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, DATA, AUTOMATISATION

  • L'IA contre l'esprit : découvrez "le premier robot artiste au monde" (BBC)
  • Adobe lance son générateur vidéo alimenté par l'IA dans la course avec OpenAI et Meta (Bloomberg)
  • Le responsable de l'IA chez Meta estime que les modèles du monde sont cruciaux pour une « IA au niveau humain », mais cela pourrait prendre 10 ans (TechCrunch)
  • Meta critiqué pour avoir qualifié ses modèles d'IA d'« Open Source » (Financial Times)
  • Meta s'associe à Blumhouse pour tester son modèle de génération de films par IA (Reuters)
  • Les manifestes sur l'IA inondent le secteur technologique (Axios)
  • Ce prompt peut amener un chatbot IA à identifier et extraire des informations personnelles de vos conversations (Axios)
  • Google transfère l'équipe de l'application Gemini à DeepMind (Reuters)
  • ChatGPT a désormais une application Windows (Wired)

MONÉTISATION, MODÈLE ÉCONOMIQUE, PUBLICITÉ

  • X a toujours du mal à augmenter ses revenus d'abonnement (Techcrunch)
  • Publicis revoit ses prévisions à la hausse mais reste prudent face aux obstacles économiques (Wall Street Journal)
  • Google remplace le responsable de Search et de la publicité (The Verge)

 

Par Kati Bremme, Alexandra Klinnik et Océane Ansah